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Débat

Les moyens et les fins : à propos de la position des révolutionnaires sur la stratégie du Hamas

En Argentine, la gauche révolutionnaire débat de l'attitude à adopter vis-à-vis du Hamas, et de l'opportunité de critiquer ou non la stratégie de cette organisation. Matias Maiello (PTS) discute ici des positions défendues par le Partido Obrero.

Matías Maiello

6 novembre 2023

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Les moyens et les fins : à propos de la position des révolutionnaires sur la stratégie du Hamas

Cortège du PTS à la manifestation de solidarité avec la Palestine le 3 novembre dernier à Buenos Aires

Article paru dans La Izquierda Diario le 24 octobre 2023.

Dans un article récent de Prensa Obrera, Pablo Heller du Partido Obrero critique le PTS parce que nous avons affirmé que nous ne partageons ni les méthodes, ni le programme, ni la stratégie du Hamas. Selon le PO, « Dire qu’Israël est responsable du bain de sang ne suffit pas. Pas plus que de déclarer qu’on soutient la cause palestinienne, tout en ajoutant immédiatement des « mais »… pour revendiquer l’action du Hamas, tout en rejetant cette organisation en se retranchant derrière des différences irréconciliables. »

Pour couronner le tout, il ajoute que l’indépendance de classe à laquelle appelle le PTS serait une « proclamation d’abstention dans la lutte des classes et dans les guerres internationales ». L’article est intitulé « Quelle devrait être la position de la gauche face à la stratégie et aux méthodes du Hamas ? ». Au vu de la réponse proposée par Heller, difficile de savoir de quelle « gauche » il parle, mais il est certain qu’il ne s’agit pas de la gauche trotskyste.

À propos de l’abstentionnisme et de quelques incohérences

Depuis que Myriam Bregman a défendu devant des millions de personnes lors du débat présidentiel le droit du peuple palestinien à lutter contre l’oppression coloniale et le régime d’apartheid imposé par l’État d’Israël, elle a été au centre des attaques menées contre les représentants du FIT-U (Front de gauche et des travailleurs - Unité) par les grands médias, mais aussi de toutes sortes de menaces, dont certaines émanent des secteurs de droite qui réclament ici la dictature génocidaire. Par la suite, Nicolás Del Caño [député du PTS à Buenos Aires, ndt] a fait de même lors de son intervention au Congrès national.

Heller critique le discours de Del Caño au Congrès, qui se démarque des méthodes, du programme et de la stratégie du Hamas, et affirme que « l’indépendance de classe est utilisée comme prétexte pour ne pas s’engager en soutien à résistance réelle, telle qu’elle se déroule. Affirmer ’nous soutenons le peuple palestinien’ devient une abstraction car la lutte du peuple palestinien aujourd’hui existe largement au travers des actions du Hamas ».

Il est étrange qu’ici Heller ne fasse aucune référence aux interventions de Romina del Pla [députée du PO à Buenos Aires, ndt] à ce sujet lors de la même session du Congrès, où elle a noté que : « Nous ne partageons pas l’orientation politique du Hamas, qui est une organisation cléricale et théocratique qui soutient également Erdogan et a des liens avec le régime iranien. Mais il est clair que le Hamas a également été soutenu par les sionistes quand cela leur convenait pour évincer l’OLP quand elle agissait avec des critères laïcs ». Il est également curieux qu’il omette que lors du programme de clôture de la campagne électorale sur TN, une chaîne télé qui est le principal relai de l’apologie de l’État d’Israël, ce sont Bregman et Del Caño qui ont dénoncé les attaques contre la gauche et ont affirmé leur soutien au peuple palestinien, tandis que la candidate du PO, qui a participé ensuite à cette même émission, n’a fait aucune mention à ce sujet.

Au-delà de ces incohérences avec lesquelles le PO devrait composer, la logique de l’article de Heller - qu’il a déjà exprimée lors de la guerre au Liban en 2006 - semble consister à dire que critiquer la stratégie, le programme et les méthodes des directions bourgeoises ou petites bourgeoises – ici islamistes mais cela vaudrait de même pour les nationalistes - et appeler à l’indépendance de classe revient à adopter une position abstentionniste vis-à-vis de la lutte réelle du peuple palestinien. Selon ce critère, Trotsky devrait être classé comme l’un des plus grands abstentionnistes de l’histoire du marxisme. Mais avançons par étapes.

Lire aussi : Lutte ouvrière, le NPA-C et la lutte pour l’auto-détermination de la Palestine

L’adaptation aux directions bourgeoises et petites bourgeoises

Comme le disait Clausewitz, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, par des moyens violents. Contrairement aux pacifistes, les marxistes révolutionnaires distinguent les guerres justes et injustes. La guerre d’un peuple qui se lève contre l’oppression coloniale entre clairement dans la catégorie des guerres justes. C’est pourquoi les révolutionnaires se placent inconditionnellement du côté de la résistance et de la lutte du peuple palestinien contre l’État d’Israël, quelles que soient ses directions. Mais en même temps, nous n’apportons aucun soutien politique aux directions bourgeoises théocratiques comme le Hamas, ni aux nationalistes comme l’OLP.

Du point de vue du marxisme révolutionnaire, nous pouvons distinguer deux types d’« abstentionnisme » face à une guerre juste. L’un est l’abstentionnisme dans la guerre elle-même, de la part de ceux qui prétendent rester neutres et refusent de se positionner clairement dans le camp militaire du peuple opprimé. Cela équivaut à l’abandon de l’anti-impérialisme et, par conséquent, de la révolution socialiste. L’autre est l’abstentionnisme de ceux qui, dans le cadre de la guerre, refusent de lutter sur le terrain du programme, de la stratégie et des méthodes face aux directions bourgeoises ou petites bourgeoises qui sont actuellement à la tête du camp opprimé, reléguant ainsi au second plan les intérêts stratégiques de la classe ouvrière et de la révolution sociale, tant au niveau national qu’international. La position du PO se rapproche dangereusement de ce dernier type d’abstentionnisme.

Trotsky, même si cela contrarie le PO, a élaboré toute une théorie-programme à ce sujet, la théorie de la révolution permanente, en cherchant à dépasser les formules de l’Internationale communiste à ses débuts, telles que celle du « front uni anti-impérialiste », qui laissaient ouvertes la possibilité d’alliances avec les bourgeoisies nationales des pays coloniaux et semi-coloniaux. Ce n’était pas là un caprice de Trotsky, mais le fruit du constat historique selon lequel ces bourgeoisies étaient incapables de mener la lutte contre l’impérialisme jusqu’au bout, et de réaliser pleinement et effectivement les revendications démocratiques comme la libération nationale.

D’où le fait que le positionnement inconditionnel dans le camp militaire du peuple opprimé devait aller de pair avec ce que Heller appelle un « prétexte », à savoir l’indépendance politique et le refus de tout soutien politique aux directions bourgeoises, petites bourgeoises ou bureaucratiques. Par exemple, face à l’invasion japonaise en Chine en 1937, Trotsky expliquait : « Tout en participant à la guerre légitime et progressiste contre l’invasion japonaise, les organisations ouvrières doivent conserver leur totale indépendance politique par rapport au gouvernement [bourgeois national] de Chiang Kai-shek ». Il n’est pas très difficile de voir le contraste entre ce type de positions et les positions du PO.

Une fois de plus, le Parti Ouvrier (PO) adopte le type de politique qui caractérisait historiquement le courant de Michel Pablo au sein de la IVe Internationale au cours du siècle dernier : se mettre à la remorque des directions prédominantes au sein du mouvement de masse, même si elles sont bourgeoises, de s’aligner politiquement sur un « camp » et de mettre de côté la lutte pour une politique ouvrière révolutionnaire. Un exemple de cela a été l’adaptation de Michel Pablo au Front de libération nationale (FLN) en Algérie, devenant lui-même conseiller du principal dirigeant, Ben Bella, et allant jusqu’à faire partie de son gouvernement.

En cohérence avec cette ligne, le PO rejette « ce que le PTS appelle l’indépendance de classe » comme étant une position abstentionniste et explique : « en opposition à cette orientation, nous soutenons jusqu’au bout la lutte armée du Hezbollah et du Hamas, et de toutes les organisations de la résistance palestinienne et du Moyen-Orient contre l’agresseur sioniste… » Mais Heller poursuit en précisant : « ...avec notre politique, c’est-à-dire en intervenant pour servir la révolution socialiste internationale ». Un salut au drapeau dont on ne sait ce qu’il signifie dans ce scénario concret, face au programme, à la stratégie et aux méthodes du Hamas. Mais allons plus loin dans cette discussion.

Les moyens et les fins

Le PO nous dit que ce n’est pas suffisant de déclarer son soutien à la cause palestinienne « tout en posant des réserves... pour justifier l’action du Hamas ». Il faut soutenir l’action du Hamas et cesser de se préoccuper autant des méthodes, car « il est légitime pour les opprimés - et cela vaut également pour la lutte palestinienne - de recourir à tous les moyens à leur disposition ». En d’autres termes, c’est une sorte de résurgence de l’ancien adage selon lequel « la fin justifie les moyens ». Ensuite, Heller revient sur ses pas et affirme « le tir à bout portant sur des civils lors d’une fête est nuisible à la cause palestinienne en éloignant l’opinion des travailleurs que nous devons gagner. » Nous le remercions pour la clarification, cependant, cela ne remet pas en cause l’essentiel de son argumentaire, qui défend une indifférence quasi-totale quant à la relation entre les fins et les moyens.

L’adage « la fin justifie les moyens » était autrefois attribué au bolchevisme par ses détracteurs, et Trotsky s’est chargé de le critiquer dans Leur morale et la nôtre. Tout d’abord, il soutenait, à juste titre, que le moyen ne peut être justifié que par la fin, mais cette fin, à son tour, doit être justifiée. L’objectif (le programme) du Hamas visant à établir un État théocratique à la manière iranienne – qui, en Iran même, a été créé en liquidant l’avant-garde de la révolution de 1979, les shoras (conseils) et la lutte du peuple kurde - n’est historiquement pas justifié pour quiconque se prétend marxiste révolutionnaire. Même si cela dérange Heller que nous le disions, c’est un programme réactionnaire.

Cependant, du point de vue du marxisme, qui exprime les intérêts historiques du prolétariat, la fin est justifiée si elle conduit réellement à la libération de l’humanité. Cette fin ne peut être atteinte que par des voies révolutionnaires. Alors, est-ce que cela signifie que pour les objectifs de la lutte des classes contre le capitalisme et l’impérialisme, tous les moyens sont permis ? La réponse de Trotsky est non.

« Ne sont admissibles et obligatoires que les moyens qui accroissent la cohésion du prolétariat, lui insufflent dans l’âme une haine inextinguible de l’oppression, lui apprennent à mépriser la morale officielle et ses suiveurs démocrates, le pénètrent de la conscience de sa propre mission historique, augmentent son courage et son abnégation. Il découle de là précisément que tous les moyens ne sont point permis. » Il rejette ainsi « les moyens, les procédés et les méthodes indignes qui dressent une partie de la classe ouvrière contre les autres ; ou qui tentent de faire le bonheur des masses sans leur propre concours ; ou qui diminuent la confiance des masses en elles-mêmes et leur organisation en y substituant l’adoration des "chefs". Par-dessous tout, irréductiblement, la morale révolutionnaire condamne la servilité à l’égard de la bourgeoisie et la hauteur à l’égard des travailleurs, c’est-à-dire un des traits les plus profonds de la mentalité des pédants et des moralistes petits-bourgeois. » (Trotsky, Leur morale et la nôtre).

Il est vrai que ces critères généraux ne nous disent pas ce qui est acceptable ou non dans une situation concrète. Ces problèmes sont des problèmes de stratégie et de tactique révolutionnaire. Dans le cas qui nous intéresse, nos divergences avec le Hamas concernent à la fois les fins et les moyens. Tout d’abord, malgré le fait d’être arrivé au pouvoir à Gaza au travers d’un processus électoral et de disposer d’une large base populaire, nous rejetons les méthodes autoritaires avec lesquelles il gouverne Gaza en réprimant systématiquement les manifestations qui échappent à son contrôle (qu’il s’agisse de la lutte contre la corruption, de l’inégalité, du partage clientéliste de l’aide humanitaire ou des grèves de travailleurs locaux). En tant que direction politique, bien qu’il s’oppose à l’occupation sioniste, le Hamas cherche à subordonner les travailleurs palestiniens aux bourgeoisies locales musulmanes et de la région.

Plus précisément, en ce qui concerne l’action du 7 octobre, une partie de cette action visait des cibles militaires telles que des postes de contrôle, des positions des Forces de défense israéliennes, des casernes, la capture de militaires israéliens, etc… Mais une autre partie de l’opération ne le faisait pas, ce qui a entraîné la mort de centaines de jeunes qui participaient à une fête, de familles vivant dans un kibboutz et d’autres personnes qui n’avaient aucune fonction militaire. Il est vrai que, comme c’est la règle dans toutes les guerres, l’information, ce qui est montré et ce qui ne l’est pas, fait partie du combat. Ainsi, tout l’appareil médiatique international dominant a bombardé avec de fausses informations depuis le début du conflit. Parmi les plus diffusées, les vidéos d’enfants enfermés dans des cages ou les informations sur des bébés décapités. Dans cette guerre de l’information, on en est même venu à nier la responsabilité de l’État d’Israël dans le bombardement de l’hôpital Al-Ahli Arabi, où plusieurs centaines de personnes sont mortes. Une attaque qui, loin d’être un fait isolé, s’inscrit dans les 115 attaques contre des infrastructures sanitaires perpétrées par Netanyahu depuis le début du conflit.

En ce qui concerne l’attaque de l’un des kibboutz, Beeri, une interview – censurée par la suite - d’une survivante israélienne de l’attaque a circulé. Elle y déclare que de nombreuses morts de civils qui avaient été pris en otage n’étaient pas liées à des exécutions, comme le prétend la presse internationale, mais à des tirs croisés, les forces israéliennes tirant de manière indiscriminée et tuant à la fois les membres du Hamas et des otages. D’autre part, selon les déclarations de Saleh Al-Arouri, membre de la direction du Hamas, les instructions données aux troupes étaient de ne pas tuer de civils, mais certains auraient profité de la faiblesse de la défense israélienne pour le faire.

Cependant, la question de fond est de savoir quelle justification, du point de vue de la cause palestinienne, peut être avancée pour des actions telles que l’attaque d’un festival de musique qui se déroulait à proximité de Reim. Aucune justification n’est acceptable. Au contraire, de telles actions nuisent considérablement à la cause palestinienne. C’est pourquoi il est essentiel de fixer des limites à ces méthodes, qui n’ont rien à voir avec celles du prolétariat. Heller se précipite pour justifier cela en expliquant qu’il faut examiner spécifiquement ce qui s’est passé. Cependant, c’est précisément ce qu’il ne fait pas. Il nous rappelle que la prise d’otages est une méthode courante qui s’est produite historiquement dans des luttes révolutionnaires, citant notamment la Commune de Paris et la Révolution russe. Mais quel est le lien entre la prise d’otages de l’archevêque de Paris, de prêtres et de gendarmes lors de la Commune et la prise d’otages lors d’un festival de musique, où une partie importante des participants étaient des jeunes pacifistes qui n’étaient pas des ennemis de la cause palestinienne ? Aucun.

Cela s’est vu lors des funérailles des jeunes tués, puisque plusieurs membres des familles de victimes se sont exprimés pour exiger de Netanyahu qu’il n’instrumentalise pas leur douleur pour justifier le massacre du peuple palestinien. La sœur de l’un d’entre eux a déclaré : « Je n’ai aucun doute que, même en face des gens du Hamas qui l’ont assassiné, il continuerait à condamner le meurtre et la violence envers des innocents. » Il est ainsi essentiel de se délimiter de ces méthodes, car elles ont pour effet d’éloigner ceux qui sympathisent avec la cause palestinienne et de contribuer à la fascisation de la population israélienne, sur laquelle Netanyahu parie, alors qu’il était ces derniers mois très profondément remis en cause.

La stratégie et le programme du marxisme révolutionnaire

L’État d’Israël est un État colonial, dont l’existence, comme le démontre notamment Ilan Pappé, est fondée sur l’expulsion de la population arabe à travers des méthodes de nettoyage ethnique. L’offensive actuelle des Forces de Défense Israéliennes (FDI) vise à intensifier ces méthodes, provoquant ainsi une nouvelle Nakba pour le peuple palestinien. Cependant, la libération de la Palestine ne peut être atteinte en suivant les directions des mouvements politiques confessionnels bourgeois tels que le Hamas, ni en suivant celles des mouvements nationalistes comme l’OLP. C’est pourquoi, pour nous, le soutien à la résistance palestinienne implique une lutte acharnée sur le terrain du programme, de la stratégie et des méthodes.

Le « pablisme » qu’affiche le PO consiste toujours à appuyer n’importe quelle direction, pourvu qu’elle soit à la tête du camp progressiste. Dans notre cas, nous soutenons résolument le triomphe de la lutte du peuple palestinien, quel que soit son leadership actuel. Il s’agirait d’une victoire tactique très importante. Mais nous sommes également conscients qu’une victoire politique sous la direction bourgeoise du Hamas aboutirait à l’instauration d’un État théocratique. Nous luttons pour la pleine réalisation du droit à l’autodétermination nationale du peuple palestinien et pour la seule solution stratégique véritablement progressiste, à savoir une Palestine ouvrière et socialiste. Seul un État ayant pour objectif de mettre fin à toute oppression et exploitation pourra garantir la coexistence démocratique et pacifique entre Arabes et Juifs, comme premier pas vers une fédération socialiste au Moyen-Orient.

Dans ce cadre, nous nous délimitons des méthodes du Hamas car nous comptons sur la convergence des Gazaouis avec les milliers de personnes qui se sont mobilisées depuis le début de l’année en Cisjordanie contre l’occupation israélienne et contre l’Autorité palestinienne, avec les travailleurs arabes d’Israël et avec les travailleurs israéliens qui rompent avec le sionisme. Nous considérons que cette unité ne pourra se faire qu’avec les méthodes de la classe ouvrière, comme la grève générale combinée à l’intifada, et par le développement d’organismes d’autodéfense capables d’unir tous ces secteurs. Nous ne cachons pas notre programme et notre stratégie, comme le prétend le PO. Nous sommes convaincus qu’il faut se battre pour cette perspective.

Selon la théorie du PO, au contraire, critiquer les directions réelles du mouvement de masse dans le cadre d’une confrontation revient à faire le jeu de l’ennemi. Dans un passage de l’article de Heller, cette théorie est poussée à l’absurde, expliquant, avec cette même logique, que notre soutien inconditionnel au mouvement piquetero [mouvement de blocage des axes de communication en Argentine, ndt] devrait nous conduire à taire nos critiques à l’égard de ses directions… [1]. Si l’on ajoute à cela le nouveau projet du PO d’un « mouvement populaire aux couleurs socialistes » avec lequel il semble renoncer à la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire internationaliste, il semble que tout cela s’oriente dans la même direction. Et bien, ce n’est pas du trotskisme. Ce pourrait être qualifié de « gauche », mais ce serait une gauche populiste avec laquelle, en ce qui nous concerne, nous n’avons rien en commun.

Nous devons développer la mobilisation la plus large au niveau national et international en soutien au peuple palestinien pour mettre fin aux bombardements et à l’intervention militaire israélienne. Intensifier nos efforts dans ce sens est et doit être le cadre du débat.

Sur le Parti Ouvrier - Tendance de Altamira (POT) : un « pablisme » avec une fièvre de 40 degrés

Le Parti Ouvrier - Tendance de Jorge Altamira (POT) a également critiqué le PTS et la FT-QI, en adoptant la même approche que le PO officiel, mais en radicalisant sa position à l’absurde. Pour le POT : « En ce qui concerne les personnes assassinées qui n’avaient ’aucune fonction militaire’, [la FT] masque, tout comme toute la presse sioniste et pro-sioniste, que la distinction entre les personnes ayant ou non ’des fonctions militaires’ n’est en aucun cas claire à l’intérieur de l’État sioniste, avec des centaines de milliers de réservistes et de civils armés, y compris parmi les ’kibboutzim’ ». La FT relaierait la propagande impérialiste en osant critiquer les méthodes du Hamas.

En réalité, le POT se situe en dehors du trotskysme. Un parallèle historique avec la politique qui découle de l’article du POT pourrait être la consigne de la résistance française promue par le Parti communiste stalinien pendant l’occupation nazie : « à chacun son boche », un appel à ce que chacun tue un soldat allemand. Ainsi, le PCF encourageait les méthodes petites-bourgeoises d’assassinats individuels indiscriminés d’Allemands, d’attentats, etc. Cette politique violemment nationaliste découlait de l’accord avec De Gaulle, qu’il considérait comme faisant partie du front national pour l’indépendance de la France.

Les trotskystes, à l’époque, s’opposaient totalement à cette politique nationaliste dirigée contre les soldats de l’armée nazie. Ils soutenaient que « le développement du mouvement populaire d’hostilité au hitlérisme dans une direction prolétarienne et anticapitaliste est la condition nécessaire pour la fraternisation avec les soldats et les travailleurs allemands. Le parti n’oublie pas que sans la collaboration des ouvriers et des soldats allemands, aucune révolution en Europe ne serait possible. Ainsi, la fraternisation demeure l’une de nos tâches essentielles ». Ils ajoutaient que « tout acte qui élargit le fossé entre les ouvriers allemands et européens est directement contre-révolutionnaire ».

Il n’est pas très difficile de voir la différence avec la politique proposée par le POT. De plus, dans un accès de fièvre délirant, Marcelo Ramal [dirigeant du POT, ndt] imagine que l’objectif de la FT est de conquérir un « État ouvrier israélien ». Selon le POT : « La FT déforme complètement la situation concrète. Parce que les ouvriers israéliens ne sont pas internationalistes, ils sont sionistes. Ce n’est pas l’action du Hamas qui les éloigne de la lutte nationale palestinienne - c’est leur sionisme, c’est-à-dire le nationalisme de l’État oppresseur ». La conclusion serait que « la FT préconise une collaboration de classe avec le sionisme sous le déguisement de la classe ouvrière israélienne, c’est-à-dire sioniste. »

La classe ouvrière israélienne a été et est majoritairement sioniste, jouant un rôle fondamental dans la colonisation et le régime d’apartheid. Déjà dans les années 1930, la Histadrout (centrale syndicale sioniste) avait expulsé les militants communistes qui souhaitaient des syndicats communs avec les Arabes. La Histadrout a historiquement encouragé la substitution des travailleurs arabes par des travailleurs juifs et a mené une politique raciste et pro-patronale. La collaboration de classe avec la bourgeoisie autour du sionisme est forte et a des racines profondes.

Cependant, contrairement au POT, nous ne sommes pas idéalistes en ce qui concerne la classe ouvrière en général. La collaboration de classe autour du sionisme est un cas extrême de phénomènes qui ont traversé la classe ouvrière dans son histoire, et dont l’époque impérialiste est pleine, à commencer par la classe ouvrière allemande avec ses puissants syndicats et la social-démocratie soutenant la guerre impérialiste en 1914, de même que la majorité des partis de la Deuxième Internationale. Il existe un exemple assez flagrant auquel nous pourrions comparer la question du sionisme des travailleurs israéliens : le profond racisme des ouvriers américains auquel Trotsky a été confronté en son temps.

Comment Trotsky a-t-il réagi à ce problème ? Il affirmait : « 99,9 % des travailleurs américains sont chauvins, en ce qui concerne les Noirs, ce sont eux les bourreaux et ils le sont aussi envers les Chinois. Il est nécessaire d’enseigner à ces bêtes américaines. Il faut leur faire comprendre que l’État américain n’est pas leur État et qu’ils ne doivent pas en être les gardiens ». De cette manière, il cherchait à convaincre les travailleurs racistes qu’ils devaient donner « jusqu’à la dernière goutte de sang » dans la lutte pour garantir au peuple noir des droits démocratiques complets.

Autrement dit, Trotsky ne se résignait pas à considérer la classe ouvrière blanche américaine comme perdue, sans pour autant sentir le besoin de l’embellir. Nous pourrions dire quelque chose de similaire de la classe ouvrière juive en Israël. Combattre pour sa rupture avec le sionisme, compte-tenu de la profondeur de son influence et de la difficulté que la classe ouvrière pourrait rencontrer pour la surmonter et se joindre aux travailleurs arabes israéliens, aux Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, n’est en aucun cas un « déguisement » pour capituler face au sionisme. Cela s’appelle le trotskysme. Mais dans leur « pablisme » fiévreux, aligné sur les directions « réellement existantes », il semble que le POT l’ait oublié.


[1Le PTS s’oppose à ce que la gauche révolutionnaire participe aux structures, mises en place par l’État, pour gérer l’administration des aides sociales aux chômeurs. Cette discussion a été l’objet de débats virulents à l’occasion de l’élection présidentielle, entre le PTS et le PO, ce dernier étant très investi dans ces structures.



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Matías Maiello

Sociologue et professeur à l’université de Buenos Aires (UBA). Membre de la rédaction internationale du Réseau International de quotidien auquel appartient Révolution Permanente.

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