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Débat

Lutte ouvrière, le NPA-C et la lutte pour l’auto-détermination de la Palestine

Alors que la question de l’auto-détermination du peuple palestinien est revenue au premier plan, la stratégie défendue par LO et le NPA-C échoue à articuler lutte révolutionnaire et lutte de libération nationale.

Paul Morao

30 octobre 2023

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Lutte ouvrière, le NPA-C et la lutte pour l'auto-détermination de la Palestine

Depuis le 7 octobre, l’offensive contre Israël de l’ensemble des organisations de la résistance palestinienne sous la direction du Hamas et les bombardements de la bande de Gaza qui ont suivi ont remis au premier plan de l’actualité mondiale la question palestinienne. Alors que la normalisation entre États arabes et Israël dans le cadre des accords d’Abraham s’approfondissait, le sujet était de moins en moins discuté depuis 2014, en dépit des mobilisations de 2021, qui avaient dessiné un début de convergence entre Palestiniens des territoires occupés, des camps de réfugiés et Arabes d’Israël.

Bouleversant cette situation, l’offensive du Hamas a eu des effets contradictoires, ouvrant la voie à une montée aux extrêmes et à des représailles brutales de la part de l’État d’Israël, qui ont déjà fait plus de 8000 morts Palestiniens, mais également à un regain mondial des mobilisations de solidarité avec la Palestine. Dans le même temps, la violence déployée le 7 octobre contre des civils israéliens a facilité l’organisation d’une campagne médiatico-politique virulente, assimilant le Hamas à Daesh [1] et son offensive à un attentat comparable à celui du Bataclan.

Les meurtres de civils, que nous condamnons, ont constitué un prétexte commode pour dissimuler les racines profondes d’une telle attaque, inscrite dans une situation d’oppression coloniale particulièrement brutale et dans une guerre de libération nationale. Un prétexte pour criminaliser celles et ceux qui maintiendraient leur solidarité avec la lutte du peuple palestinien. De quoi susciter un certain malaise chez des organisations de l’extrême-gauche, poussées à une surenchère dans les délimitations, allant jusqu’à renvoyer dos-à-dos une organisation du mouvement national palestinien et l’État d’Israël.

Le Hamas et Netanyahou : même combat ?

« Contre Biden et Macron, contre Netanyahou et le Hamas. Prolétaires de France, de Palestine, d’Israël… Unissons-nous ! » pouvait-on lire sur les stickers arborés par les camarades de Lutte ouvrière dimanche 22 octobre dernier place de la République. Un mot d’ordre choisi pour être décliné sur une banderole quelques jours plus tard, et dont l’esprit a été décliné systématiquement ces dernières semaines dans la presse de l’organisation. Dans un édito, LO explique ainsi que son projet « est à l’opposé des politiques nationalistes visant à défendre les intérêts d’un peuple au détriment des autres. À l’opposé de la politique de Netanyahou en Israël et de la politique du Hamas en Palestine ». Dans un autre, elle affirme que le Hamas et Israël se situeraient dans le même « camp », opposé à celui des opprimés.

Une position qui génère une très grande confusion, puisqu’elle amalgame une organisation qui dirige en grande partie la lutte de libération nationale palestinienne et le gouvernement de l’État colonial qu’elle combat. Les camarades de LO ont beau souligner par ailleurs la responsabilité centrale de l’État d’Israël et de ses alliés impérialistes dans la situation, ils ne cessent de revenir sur la responsabilité conjointe des deux camps, alors que « 75 années de politiques nationalistes de part et d’autre, des plus modérées aux plus extrémistes, ont conduit à la situation terrifiante actuelle ». Une symétrie que, curieusement, l’organisation ne semblait pas mettre en avant en 2014 ou en 2021 et qui, à l’aune de la campagne médiatico-politique en cours visant à délégitimer la lutte palestinienne, résonne comme une adaptation à l’ambiance des dernières semaines.

On peut et on doit critiquer le Hamas, organisation pro-capitaliste et religieuse, et sa stratégie. Entre les alliances avec des régimes réactionnaires, la logique de pression sur Israël et les États-Unis pour négocier, et finalement les méthodes d’attaques contre les civils, cette stratégie est incapable de permettre la conquête d’une réelle autodétermination palestinienne. Une autre chose est d’aller dans le sens du discours hégémonique qui fait des Palestiniens des otages du Hamas. Qu’on le veuille ou non, le Hamas n’est pas Daesh et il s’agit, sur le plan militaire, de la principale organisation de la résistance nationale palestinienne à l’État d’Israël et à son tuteur étatsunien, dont l’influence s’est développée et consolidée dans les années 1990 dans l’opposition à la politique conciliatrice de l’OLP. Un refus du processus d’Oslo qui lui a permis d’acquérir une véritable légitimité populaire, qui s’est exprimée lors des élections législatives de 2006, quand bien même elle va de pair avec une politique clientéliste et répressive à Gaza.

Lutte ouvrière n’ignore pas totalement tout ça en affirmant que le Hamas « a soudé nombre de Palestiniens derrière lui » parce qu’il « est le seul à offrir une issue à la révolte qui bouillonne dans la jeunesse palestinienne ». Mais précisément, dans ce cadre, comment peut-on assimiler le Hamas à un État colonial doté de l’arme nucléaire et soutenu par la première puissance mondiale comme Israël ? Les implications d’un tel discours sont multiples. Faut-il considérer que la résistance du camp palestinien à la tête duquel se trouve aujourd’hui le Hamas est réactionnaire ? Si oui, dans la guerre actuelle, faut-il être défaitiste des deux camps ?

Aussi aberrante soit cette position, c’est dans cette direction que LO semble aller. A force de chercher à se tenir à distance du Hamas, l’organisation finit en effet par déroger à des principes de solidarité élémentaire avec les luttes de libération nationale.

Un soutien conditionnel au peuple palestinien

Si, ces dernières semaines, Lutte ouvrière a exprimé sa solidarité avec le peuple palestinien, insisté sur la responsabilité fondamentale de l’État d’Israël et de ses alliés impérialistes dans la situation actuelle et dénoncé la criminalisation de la solidarité avec la Palestine, l’organisation choisit en effet de mettre sous le tapis la question de la résistance palestinienne dans ses textes et interventions publiques. On peinera à y trouver des références à cette notion, comme à celle de « lutte » du peuple palestinien. Une attitude qui semble également être celle du NPA-C, organisation issue d’une scission dans le NPA après le départ des militant·e·s autour de Philippe Poutou, qui insiste elle aussi uniquement sur la « solidarité avec le peuple palestinien ».

Ce choix des deux organisations est loin d’être anodin : il permet d’éviter de se situer clairement dans la guerre en cours, en préférant un soutien aux droits du peuple palestinien, à bonne distance des affrontements en cours entre deux camps. En effet, pour les deux organisations, apporter un soutien inconditionnel à la résistance, ce serait apporter un soutien inconditionnel au Hamas et à ses méthodes. Une position parfois justifiée au nom de la dénonciation de l’attitude acritique de certains courants trotskystes à l’égard des directions petites bourgeoises dans les luttes de libération de la deuxième moitié du XXème siècle [2]. Une logique qui est fausse, comme le souligne Philippe Alcoy dans un texte, et qui détonne d’ailleurs par rapport à celle de la gauche révolutionnaire à l’échelle du globe, par-delà ses divergences. Des diverses internationales trotskystes aux principales organisations d’extrême-gauche dans le monde, l’écrasante majorité des révolutionnaires ont convergé dans un soutien à la résistance palestinienne et la défense de sa légitimité [3].

Et pour cause, la solidarité révolutionnaire élémentaire ne peut se contenter de dénoncer les massacres ou de soutenir les droits des peuples opprimés, elle implique de se placer résolument dans leur camp lorsqu’il y a un conflit militaire avec les oppresseurs. Historiquement, les marxistes révolutionnaires ont en effet considéré, loin de tout pacifisme, qu’ils devaient se situer en soutien au camp progressiste dans les guerres justes, sans pour autant accorder un soutien politique à leur direction. Pendant la première guerre mondiale, quelques années après une première polémique avec Rosa Luxemburg et le Parti socialiste polonais sur la question nationale, Lénine notait ainsi dans Le socialisme et la guerre, une brochure nourrie de la pensée de Clausewitz [4] : « si demain le Maroc déclarait la guerre à la France, l’Inde à l’Angleterre, la Perse ou la Chine à la Russie, etc., ce seraient des guerres « justes », « défensives », quel que soit celui qui commence, et tout socialiste appellerait de ses vœux la victoire des États opprimés, dépendants, lésés dans leurs droits, sur les « grandes » puissances oppressives, esclavagistes, spoliatrices. »

Une position inscrite dans la continuité des batailles menées par Marx et Engels dans la Première internationale en faveur du soutien à l’autodétermination de l’Irlande et de la Pologne [5], et qui part du principe que la victoire des opprimés dans le cadre de guerres justes participe à affaiblir l’impérialisme, quelle que soit la nature de leurs directions. Prolongeant de façon provocatrice le discours de Lénine lors d’un échange sur l’anti-impérialisme en 1938, Trotsky notait ainsi qu’en cas de guerre entre un Brésil fasciste et une Angleterre démocratique, « je serai du côté du Brésil « fasciste » contre l’Angleterre « démocratique ». Pourquoi ? (…) Si l’Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l’emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas. La défaite de l’Angleterre porterait en même temps un coup à l’impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. »

Cette logique, qui ne saurait évidemment être déconnectée de l’examen des conditions concrètes de chaque guerre et de son rapport aux intérêts du prolétariat [6], ne peut être que renforcée dans le cadre des guerres de libération nationale qui ont un contenu plus nettement progressiste. « Pour autant que la bourgeoisie d’une nation opprimée lutte contre la nation qui opprime, nous sommes toujours pour, en tout état de cause et plus résolument que quiconque, car nous sommes l’ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l’oppression » souligne Lénine en 1914. Plutôt que de « hardiesse », Lutte ouvrière et le NPA-C font preuve d’une timidité gênée, particulièrement mal venue dans le cadre d’une lutte de libération qui dure pourtant depuis 75 ans et dont la légitimité ne devrait plus être à démontrer.

Une position d’autant plus problématique que, pour Marx, comme pour Lénine ou Trotsky, ces enjeux sont indissociables de la nécessité de forger l’avant-garde ouvrière des pays impérialistes dans une perspective non seulement internationaliste mais « hégémonique », c’est-à-dire comprenant son sort et son combat comme profondément liés à ceux de tous les opprimés et indépendante de leurs bourgeoisies, qui se situent, elles, « inconditionnellement » dans le camp d’Israël. A l’inverse, les deux organisations finissent par défendre une position qui se veut plus modérée que le soutien inconditionnel à la résistance palestinienne, pourfendu ces dernières semaines par les médias et l’État. Le NPA-C n’a d’ailleurs pas hésité à mettre en avant cette posture dans un communiqué de presse où il s’adresse à la Préfecture. Il y rappelle avoir « pesé ses mots et son orientation politique » en ne proclamant sa solidarité qu’avec le « peuple palestinien » et en condamnant dûment le Hamas... [7]

Si LO comme le NPA-C mettent ainsi à distance la résistance palestinienne, c’est que leur soutien est « conditionnel ». En l’occurrence, il implique la mise en œuvre du seul programme acceptable de leur point de vue, celui d’une fraternisation érigée en principe moral et abstrait, démontrant, là encore, l’incompréhension profonde du sionisme et du colonialisme par ces organisations.

La fraternisation : alpha et oméga d’une stratégie d’autodétermination ?

Si le NPA-C comme LO mettent sous le tapis la question de la lutte du peuple palestinien telle qu’elle se mène aujourd’hui, ces organisations indiquent cependant ce que serait une lutte acceptable à leurs yeux, en agitant la nécessité d’une fraternisation des peuples israéliens et palestiniens. « C’est la solidarité des travailleurs, travailleuses et des pauvres d’Israël avec ceux et celles de Palestine qui permettrait d’infliger une défaite à l’État sioniste d’Israël » note ainsi le NPA-C, « en Israël, des travailleurs palestiniens et israéliens travaillent souvent ensemble. Il faut qu’ils retrouvent la conscience de leurs intérêts communs » explique de son côté Lutte ouvrière.

La fraternisation entre les peuples est ainsi érigée en condition de la légitimité de la lutte du peuple palestinien. « Le seul camp qu’il faut défendre est celui des travailleurs et de leurs intérêts communs par-delà les frontières » note encore Lutte ouvrière dans un article. C’est ignorer un peu vite la spécificité de cet enjeu dans un contexte colonial et, en particulier, dans celui du colonialisme particulièrement agressif qu’est le sionisme, fondé sur un nettoyage ethnique et des décennies de tentatives pour repousser les Arabes en dehors d’Israël. Raisonner comme si la situation en Palestine opposait les classes ouvrières de deux pays impérialistes et renvoyer dos-à-dos les travailleurs israéliens et palestiniens est une impasse.

Cette fausse symétrie efface en effet du tableau le fait que les premiers doivent rompre avec une idéologie et un projet colonial, à l’origine de la brutale oppression des seconds mais très largement hégémonique dans la société israélienne, y compris dans le mouvement ouvrier israélien. Elle réduit également les rapports entre travailleurs israéliens et palestiniens à un schéma abstrait, très loin de correspondre à la réalité, comme lorsque Lutte ouvrière explique qu’en Israël « des travailleurs palestiniens et israéliens travaillent souvent ensemble. » La situation est loin d’être celle-là dans le régime d’apartheid qui caractérise Israël, où, notamment pour des raisons de sécurité depuis la seconde Intifada, la possibilité pour les Palestiniens de travailler en Israël a été considérablement réduite. Dans le même temps, en 2022, les 140 000 travailleurs palestiniens en Israël, venant essentiellement de Cisjordanie, occupaient très majoritairement des emplois dans l’agriculture ou le bâtiment, où leurs relations avec les Israéliens au travail sont surtout marquées par des rapports de subordination, et où leurs collègues viennent d’Inde, de Chine ou d’Asie du Sud-Est [8].

Dire cela ce n’est évidemment pas refuser la fraternisation avec les travailleurs israéliens, mais comprendre que celle-ci ne peut être articulée que dans le cadre d’une stratégie ouvrière et révolutionnaire qui défend l’auto-détermination du peuple palestinien. Or, a contrario, LO utilise la fraternisation pour substituer discrètement la lutte de libération nationale palestinienne à une lutte des « travailleurs » contre « les classes dominantes ». Dans son dernier édito, LO explique ainsi : « L’espoir ne peut venir que des peuples eux-mêmes. (…) Il viendra de ceux qui comprendront la nécessité de combattre le capitalisme et la grande bourgeoisie, dont la politique est de dresser les peuples les uns contre les autres pour asseoir sa domination. Renverser l’impérialisme pour établir une société égalitaire, débarrassée de l’exploitation et des rapports de domination est la seule issue pour l’humanité. Cette perspective est à l’opposé des politiques nationalistes visant à défendre les intérêts d’un peuple au détriment des autres. »

L’évocation des « politiques nationalistes visant à défendre les intérêts d’un peuple au détriment des autres » frise l’indécence dans le contexte d’une lutte anti-coloniale. En 1872, Karl Marx se confrontait déjà aux membres de la Première Internationale qui défendaient de telles positions, expliquant : « Lorsque les membres de l’Internationale appartenant à une nation conquérante demandent à ceux appartenant à une nation opprimée, non seulement dans le passé, mais encore dans le présent, d’oublier leur situation et leur nationalité spécifiques, d’« effacer toutes les oppositions nationales », etc., ils ne font pas preuve d’internationalisme. Ils défendent tout simplement l’assujettissement des opprimés en tentant de justifier et de perpétuer la domination du conquérant sous le voile de l’internationalisme. »

Mais cette position vient par ailleurs révéler une incapacité à penser l’articulation entre lutte révolutionnaire et lutte de libération nationale. Celle-ci n’a jamais consisté, pour les communistes révolutionnaires, à appeler abstraitement les peuples opprimés à remplacer leur lutte nationale par une lutte ouvrière révolutionnaire. La clé de l’articulation, telle qu’elle est systématisée par Trotsky dans la théorie de la révolution permanente, réside dans la défense d’une politique d’indépendance de classe qui permette la « transcroissance » de la lutte pour l’autodétermination nationale en révolution ouvrière.

Partant des bilans de la politique de conciliation de classe du stalinisme en Chine dans les années 1920, Trotsky fait le constat que seule une politique ouvrière est à même de permettre de conquérir une réelle auto-détermination dans le cadre d’une lutte de libération nationale. Cependant, il n’élimine pas pour autant de l’équation les tâches « démocratiques-bourgeoises », qu’il s’agit pour lui de mêler étroitement à la lutte révolutionnaire. En l’occurrence, dans le cas de la Palestine, une telle politique ouvrière et révolutionnaire devrait d’abord partir du levier le plus puissant que constitue la mobilisation des masses arabes, celles-là mêmes qui ont pris la rue par centaines de milliers depuis le 7 octobre en dépit des politiques conciliatrices de leurs gouvernements. Historiquement, le refus par les directions historiques du mouvement palestinien de s’adresser à ces masses dans une perspective révolutionnaire, en lien avec leur politique de conciliation avec les États arabes, a condamné la lutte palestinienne à l’impasse. Leur mobilisation est pourtant un enjeu primordial.

Dans le même temps, une stratégie ouvrière et révolutionnaire devrait effectivement chercher à tendre la main aux travailleurs et à la jeunesse israélienne pour qu’ils rompent avec le sionisme, principal obstacle pour l’unité entre les travailleurs palestiniens et israéliens. D’abord parce que ce serait un moyen d’affaiblir le camp israélien, alors que les crimes contre les civils n’ont jamais fait autre chose que consolider et radicaliser à droite, mais également parce que cette perspective dessine la seule possibilité d’émancipation pour les deux peuples. Cependant, une telle unité ne peut s’opérer que dans le cadre de la défense inconditionnelle du droit à l’auto-détermination des Palestiniens et du combat en ce sens. C’est pourquoi nous défendons la fraternisation, non pas comme un fétiche abstrait, condition de la légitimité de la résistance, mais comme un enjeu stratégique concret, y compris contre des organisations trotskystes qui soutiennent ouvertement le Hamas comme le Partido Obrero en Argentine, que le NPA-C a pu plébisciter à d’autres moments.

Une position distincte de celle de Lutte ouvrière, qui, plutôt que défendre une stratégie révolutionnaire d’auto-détermination, finit par opposer aux stratégies nationalistes bourgeoises le projet abstrait d’une révolution socialiste aveugle à la réalité coloniale en Palestine.

Un programme ouvrier pour l’autodétermination palestinienne

Paradoxalement, tout en cherchant à « forcer » la conversion de la lutte nationale palestinienne en lutte ouvrière révolutionnaire, les camarades de Lutte ouvrière finissent par proposer des perspectives programmatiques ultra-minimales. Alors que Lutte ouvrière ne conçoit la lutte palestinienne qu’au prisme d’une lutte prolétarienne réunissant les peuples israéliens et palestiniens, l’organisation a récemment défendu explicitement la solution à deux États, expliquant par la voix de Jean-Pierre Mercier, place de la République : « le peuple palestinien a un droit légitime à disposer d’un État palestinien qui pourrait vivre à côté de l’État israélien. Il y a de la place pour ces deux peuples, il y a de la place pour deux États dans cette région. Et cela ne peut passer que par l’unité des travailleurs palestiniens et des travailleurs israéliens. »

LO finit ainsi par défendre un programme historiquement en crise, trente ans après les accords d’Oslo. De fait, la solution à deux États est associée à la liquidation du droit au retour des Palestiniens, à l’acceptation de la colonisation et des frontières de 1967. Défendre ce programme situe Lutte ouvrière à droite non seulement d’organisations israéliennes antisionistes, comme le Matzpen, revendiquant dans les années 1970-1980 un État socialiste unique pour les Juifs et les Arabes, mais également des organisations de la gauche de la résistance palestinienne, à l’image du FPLP, défendant un seul « État démocratique » sur le territoire de la Palestine historique.

Un exemple supplémentaire de la tendance de Lutte ouvrière à séparer totalement la stratégie du programme, en choisissant de s’en tenir au projet de deux États tout en défendant l’émancipation des travailleurs arabes et juifs côte à côte. Même présenté comme inscrit dans un projet de « Fédération socialiste au Moyen-Orient », ce programme conduit à accepter la partition bourgeoise et réactionnaire de la Palestine, mais aussi à alimenter le mirage des « deux États » qui a servi historiquement de fondement à tous les processus de canalisation des luttes palestiniennes, à commencer par les accords d’Oslo.

A l’heure où ce processus est définitivement enterré, mais où la « solution à deux États » peut toujours être remobilisée pour tenter de canaliser la lutte du peuple palestinien, lutter pour une autre issue est primordial. En ce sens, nous défendons le projet d’une Palestine ouvrière et socialiste, dans laquelle les Arabes et les Juifs puissent vivre en paix. Un objectif qui implique dès maintenant que les travailleurs et classes populaires arabes et palestiniennes portent un programme défendant le retrait de l’ensemble des troupes impérialistes de la région, l’expropriation de leurs grands groupes économiques sous contrôle des travailleurs, ou encore la lutte pour l’ouverture des frontières, notamment depuis l’Égypte.

La situation ouverte ces dernières semaines est remplie de dangers, mais elle pourrait également permettre l’émergence d’une nouvelle génération politique à la recherche d’une stratégie à même de conquérir l’auto-détermination. Chercher à la convaincre implique de prendre au sérieux la lutte de libération palestinienne, en refusant les incantations et en discutant de ce que serait une stratégie ouvrière et révolutionnaire pour la Palestine et l’ensemble du monde arabe, à l’heure où les masses prennent la rue en solidarité dans de nombreux pays de la région, offrant d’immenses possibilités pour l’émancipation des peuples.

Notes :


[1Une assimilation qui n’est pas nouvelle puisqu’il s’agit d’un élément de langage du régime depuis 2014.

[2Pour une critique de la tendance du courant mandéliste à s’adapter aux directions petites-bourgeoises et staliniennes dans les luttes de libération de la deuxième moitié du XXème siècle, voir notamment Les limites de la restauration bougeoise de Emilio Albamonte et Matias Maiello.

[3On pourra ainsi se reporter aux déclarations du Secrétariat unifié, de la LIT-QI, de la LIS-QI ou de la TMI, mais également d’organisations comme le SWP anglais, le Partido Obrero argentin, avec lequel le NPA-C entretient des relations diplomatiques, ou Socialist Alternative en Australie, pour évoquer quelques-unes des principales organisations trotskystes et observer les aspects communs aux déclarations des différentes organisations.

[4Sur les apports de Clausewitz à la pensée de Lénine et du mouvement ouvrier révolutionnaire voir notamment Marxisme, stratégie et art militaire de Emilio Albamonte et Matias Maiello, paru aux éditions Communard.e.s.

[5Sur les batailles de Marx et Engels autour des luttes d’autodétermination nationale, lire Marx aux antipodes de Kevin B. Anderson. Pour une recension théorico-stratégique de l’ouvrage, voir Classe, nation, race : à partir d’un ouvrage de Kevin B. Anderson d’Emmanuel Barot.

[6Nous soulignons cet enjeu dans la mesure où la citation a pu être utilisée, notamment dans le cas de la guerre en Ukraine, pour transformer le soutien à un camp opprimé en un absolu. Or, comme le soulignent Sami Naïr et Camille Scalabrino dans La question nationale dans la théorie marxiste-révolutionnaire en 1971, la position de Trotsky (et de Lénine) va de pair avec l’idée que « le prolétariat ne doit pas avoir d’attitude absolue sur la question nationale, mais au contraire qu’il identifie sa position aux conditions historiques concrètes et aux intérêts stratégiques de la révolution prolétarienne. Le droit des nations à disposer d’elles-mêmes se mesure à l’aune de la révolution socialiste, non l’inverse. C’est pourquoi la lutte de libération nationale des pays opprimés doit toujours être liée à la lutte pour l’émancipation du prolétariat mondial. » Sur ce plan, la caractérisation de la guerre constitue un enjeu central. Sur cette question dans le cadre de la guerre en Ukraine voir Ukraine : l’enjeu d’une politique anti-impérialiste indépendante de P. Alcoy, J. Chingo et P. Reip, ou encore Débats sur la guerre en Ukraine : politique anti-impérialiste indépendante et « révolution démocratique » de M. Maiello.

[7Des affirmations qui laissent par ailleurs entendre que d’autres organisations au sein du mouvement pour la Palestine soutiendraient le Hamas. Un argument que le NPA-C a d’ailleurs utilisé pour construire son propre cadre unitaire, en parallèle de ceux qui existaient déjà, dans une politique divisionniste menée au moment où il faudrait au contraire faire front face à un État qui veut criminaliser toute solidarité à l’égard de la résistance palestinienne.

[8Comme le notent Sumaya Awad et Daphna Thier dans un article pour Jacobin : « En fait, les syndicats en Israël sont tirés vers la droite par certains de leurs membres. Pour recruter, ils doivent mettre de côté la question de l’occupation. Sinon, ils se condamnent à la marginalité. C’est la nature du travail dans une économie d’apartheid. La séparation quasi-complète signifie que, par définition, les Juifs et les Palestiniens travaillent rarement côte-à-côte comme collègues. Au contraire, ils sont ségrégués d’une manière qui enracine le racisme et garantit que la loyauté nationale éclipse la conscience de classe. Les trois-quarts des Palestiniens n’ont pas de citoyenneté et ne sont pas en concurrence avec les Juifs pour l’emploi, et on ne leur accorde pas non plus le droit de s’organiser pour de bons emplois dans lesquels ils puissent être syndiqués. » Sans partager l’orientation politique du texte, et un certain fatalisme économiciste, le chapitre sur le sujet dans Palestine : A Socialist Introduction (Haymarket Books) offre des éléments intéressants. Pour des chiffres complémentaires sur les Palestiniens qui travaillent en Israël voir également Palestinian Labor in Israel dans l’Interactive Encyclopedia of the Palestine Question.



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