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Politique impérialiste

Pogroms contre des migrants à Sfax : Saïed et l’Union Européenne alimentent le racisme en Tunisie

Depuis une semaine, la ville de Sfax est le théâtre de pogroms contre la population noire de Tunisie. Un climat raciste aux conséquences meurtrières dont le président Kaïs Saïed mais aussi l’Union Européenne sont les premiers responsables, et qui divise les classes populaires tunisiennes.

Léo Stella

11 juillet 2023

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Pogroms contre des migrants à Sfax : Saïed et l'Union Européenne alimentent le racisme en Tunisie

Crédits photo : Wikicommons

Une offensive réactionnaire du régime à l’origine de dizaines de naufrages et d’attaques envers les migrants

Dans la nuit du 2 au 3 juillet, à la suite d’une altercation entre une bande de jeunes Tunisiens et des migrants subsahariens, un homme de 40 ans a été retrouvé mort. Depuis, la ville de Sfax est en proie à des pogroms contre la population noire que ce soit des migrants ou des Tunisiens d’origine subsaharienne. Attaques en groupe au sabre, lynchage, vols et saccage de maison… Les témoignages des attaques négrophobes démontrent le niveau de division qui existe au sein de la population tunisienne et qui s’est ancré depuis février. La situation actuelle n’est en effet pas nouvelle mais s’est installée depuis plusieurs mois à coups de grand matraquage idéologique de la part du régime tunisien. En février dernier, Kais Saïed avait prononcé un discours similaire à celui « du grand remplacement » théorisé par Renaud Camus et revendiqué en France par Eric Zemmour, dans lequel il s’appuie sur le nationalisme et la situation migratoire pour canaliser la colère sociale du pays. Avec ce discours, Saïed avance l’idée qu’il existerait un projet de changement de la composition démographique de la Tunisie, qui causerait la perte du pays et de son histoire au profit des populations subsahariennes. Ce racisme d’État s’accompagne d’un tournant bonapartiste du régime dans une situation sociale et économique toujours plus délétère qui avait déjà causé en février un déferlement de haine.

Depuis février, de nombreux migrants ont tenté de fuir la Tunisie en passant par la ville côtière de Sfax qui cristallise aujourd’hui la situation tunisienne afin de rejoindre l’Europe. De son côté, Saïed n’a eu de cesse de continuer, lors de ses déplacements et discours à Sfax, de renforcer son offensive idéologique négrophobe afin d’attiser la haine dans la population tout en réprimant les personnes noires à coup d’attaques des forces répressives. En plus des dizaines de naufrages au large des côtes tunisiennes provoquant la mort de nombreux migrants notamment à cause des méthodes de garde-côte, le régime a procédé à un harcèlement continu envers la population noire. En effet, dans les témoignages qui ressortent d’étudiants, de travailleurs ou de migrants, le gouvernement, à travers ses forces répressives, aurait procédé à des expulsions de logement, à des agressions systématiques dans les rues et au licenciement des travailleurs noirs, rendant leur vie impossible. Ce week-end, le régime est passé à un stade supérieur en faisant des rafles de centaines de migrants pour les expulser à la frontière libyenne et algérienne en plein désert dans des conditions horribles, causant la mort de plusieurs migrants, comme le montrent de nombreuses images sur les réseaux sociaux. Pendant plusieurs jours, ces derniers se sont retrouvés à errer dans le désert sans eau ni nourriture, des femmes devant même accoucher en plein désert.

Derrière toute la mise en place du discours idéologique de ce « grand remplacement », le régime compte en réalité canaliser la colère sociale des classes populaires tunisiennes qui subissent une paupérisation toujours plus accrue tout en divisant la classe ouvrière tunisienne. Une politique de division et de diabolisation des Noirs qui, derrière ses déclarations hypocrites, est directement alimentée par l’Union européenne.

Un racisme favorisé et alimenté par l’Union Européenne

L’UE a un rôle de premier plan dans l’alimentation du racisme en Tunisie et la légitimation du régime de Saïed. Depuis maintenant plusieurs semaines, l’UE, avec au premier plan Giorgia Meloni, font tout pour faire de la Tunisie le nouvel exemple de la politique européenne d’externalisation de ses frontières. L’accord décidé par le conseil des 27, qui doit encore être validé par le Parlement, va renforcer l’Europe forteresse, que ce soit sur le plan sécuritaire ou sur l’externalisation des frontières. Sur ce dernier plan, l’accord va renforcer les méthodes déjà utilisées par l’impérialisme européen depuis des années. L’UE est habituée à financer des régimes autoritaires pour protéger ses frontières comme ce fut le cas avec Khadafi en Lybie ou encore Erdogan en Turquie. En échange de fonds financiers pour les pays semi-coloniaux comme la Tunisie, l’UE compte sur le fait que ces derniers jouent le rôle de garde-côtes des frontières européenne en empêchant les départs de migrants mais aussi en acceptant les charters de migrants expulsés qui vont doubler depuis l’Europe grâce à tout un nouvel arsenal répressif.

C’est en ce sens que l’UE a proposé au régime tunisien une somme de 900 millions d’euros pour soutenir la Tunisie, endettée à 90 %. Dans ces 900 millions, 105 millions serait destiné au « border forces », un fonds spécial qui aurait pour but d’équiper et de former les gardes-côtes tunisiens connus pour leurs méthodes meurtrières afin d’empêcher les départs vers l’Europe notamment depuis Sfax. Après un premier refus hypocrite de Saïed dans le but de faire monter les enchères, Darmanin est ensuite revenu à la charge avec son homologue allemand en jouant à la surenchère sécuritaire anti-migrants. Le ministre de l’intérieur français a ainsi proposé un surplus de 26 millions de la part de la France qui s’ajouterait aux 105 millions déjà proposés pour « pour contenir le flux irrégulier de migrants et favoriser leur retour ».

Cette stratégie d’externalisation des frontières et de sous-traitance des migrants à grande échelle dont la Tunisie est le premier test a pour but de s’étendre à un ensemble de pays. Dans un article d’Euronews on peut voir les plans de l’ UE : « Les 27 ont annoncé un paquet de 60 millions d’euros pour les Balkans occidentaux, de 120 millions d’euros pour l’Égypte et 152 millions d’euros pour le Maroc. Les pays à proximité ne sont pas les seuls à bénéficier d’une aide financière. Le Nigeria a obtenu par exemple 28,4 millions d’euros pour soutenir les efforts du gouvernement. Le Bangladesh a reçu 55 millions d’euros et le Pakistan 59 millions d’euros pour différents programmes comme le retour des demandeurs d’asile. »

Cette politique xénophobe et meurtrière de l’Union Européenne permet derrière une légitimation des régimes réactionnaires comme celui de Saïed. Pour ses intérêts, l’impérialisme européen va jusqu’à financer et pousser les politiques négrophobes de Saied. De plus, l’offensive xénophobe mise en place par le régime tunisien fait écho à celle que l’on connaît actuellement en Europe. Durant les dernières semaines, un renforcement des politiques racistes, que ce soit dans les gouvernements de droite conservatrice ou libérales, s’est effectué à travers un certains nombres de lois dans plusieurs pays comme l’Allemagne mais aussi à travers le climat politique comme cela se voit aujourd’hui en France avec l’offensive réactionnaire à la suite des révoltes des quartiers populaires. Derrière les déclarations hypocrites des dirigeants de l’UE qui condamnent, à demi-mot, les propos de Saïed, ce sont les mêmes qui légitiment l’idéologie raciste qu’installe Saïed et le poussent à toujours plus de répression envers les migrants. Car en réalité, la politique européenne d’externalisation des frontières crée un terrain favorable à la xénophobie. Le déplacement vers le sud dans les pays semi-coloniaux de théories racistes anti-migrants comme celle de Renaud Camus favorise en ce sens les intérêts européens qui cherchent à renforcer toujours les frontières de l’UE.

Un nationalisme réactionnaire qui divise la classe ouvrière tunisienne

Derrière la politique de Saïed et celle de l’UE, ce sont bien sûr les migrants qui en payent le prix mais aussi la classe ouvrière tunisienne. Car la division entre la population arabe et la population noire qu’opère le régime tunisien divise les classes populaires et la classe ouvrière. En faisant la séparation entre les arabes « civilisés » et les noirs subsahariens, même tunisiens, qui viendraient piller, favoriser la délinquance et changer la Tunisie de l’intérieur, Saïed, avec l’appui de l’UE, détourne la lutte contre le pouvoir qui paupérise toujours plus la population tunisienne. La Tunisie connaît aujourd’hui en effet une crise économique et sociale intenable avec une inflation de plus de 10%, un chômage massif de plus de 15 %, une dette à hauteur de 90% de son PIB ainsi qu’une pénurie qui oblige les Tunisiens à être soumis à un rationnement des produits alimentaires de base qui se réduit de jour en jour.

Le discours populiste de l’ennemi de l’intérieur qui serait à l’origine du mal du pays est une tentative pour le régime de canaliser la colère sociale et éviter un nouveau mouvement d’ampleur à l’image de la Révolution du Jasmin. C’est contre ce pouvoir en place qui va mener toujours plus de réformes austéritaires et contre les politiques impérialistes européennes qui vont continuer à attaquer de plein fouet la population tunisienne que doivent s’unifier les classes populaires et la classe ouvrière tunisienne, arabe ou subsaharienne. Car face au racisme et au tournant sécuritaire de Saied, ce n’est qu’à travers cette unité qui lutte contre ce régime nauséabond, une unité qui défende également la la population noire, qu’une véritable voie d’émancipation sera possible. Il s’agit d’une voie qui pourrait mener les travailleurs et les classes populaires à la conclusion que pour véritablement changer profondément la Tunisie, il faudra reprendre le chemin de la révolution mais cette fois pour mettre à bas tout le système et non seulement le régime.


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