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Hexagone

Premier Mai en France. Les raisons d’une mobilisation en retrait

Damien Bernard {} A l’instar de leur ligne éditoriale du 9 avril, les médias ont décrit la journée du 1er Mai en France comme un échec en termes de mobilisations, en pointant notamment le faible nombre de participants aux rassemblements et aux manifestations, le plus bas sans doute depuis les années 2000, moitié moins important en tout cas que l’an passé. Faut-il pour autant conclure que « la rupture entre les Français et les syndicats de salariés semble définitivement consommée » comme le voudrait Le Figaro ? Faut-il y voir, comme le souligne Le Monde, une perte de sens d’un Premier Mai, « symbole tombé en désuétude » qui « n’aurait plus de sens », y compris pour les militants qui « préfèrent faire le pont [plutôt] que battre le pavé » ?

Vincent Duse

6 mai 2015

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A y regarder de plus près, cependant, sans pour autant nier la faible mobilisation du 1er mai 2015, celle-ci ne s’explique pas par un désaveu des équipes militantes pour les bagarres et les mobilisations mais bien par l’absence de débouché aux luttes ; une absence dont sont avant tout responsables les directions syndicales qui, après avoir participé au petit jeu du « dialogue social » continuent à rester engluées dans cette même logique ou alors sont dans un attentisme complet alors que ce sont bien des perspectives qu’il faudrait donner après le 9 avril.

Quoi qu’en dise la presse et les télés, alors que les travailleurs s’étaient saisis la journée de mobilisation interprofessionnelle du 9 avril appelée conjointement par la CGT, FO, Solidaires, et la FSU pour commencer à exprimer leur opposition au gouvernement et à sa politique, symbolisée par la loi du ministre-banquier Macron, ce 1er Mai aurait pu constituer une suite à la première véritable journée de mobilisation depuis que Hollande est à l’Elysée. Mais ce 1er mai, appelé par quatre syndicats (CGT, FSU, Solidaires et Unsa) pour manifester ensemble « contre les politiques d’austérité » et pour « le progrès social en Europe » n’a mobilisé que 110.000 manifestants (76.000 selon la police) contre les 300.000 (chiffres CGT) du 9 avril.

Le recul, en termes de mobilisation, ne s’explique pas seulement par le mauvais temps, le pont ou les vacances scolaires dans certaines académies. Alors que le 9 avril avait vu l’ensemble des directions syndicales « protestataires », CGT, FO, FSU, Solidaires (à savoir celles ayant rompu, au moins sur la forme, avec la logique du « dialogue social ») faire front contre la politique du gouvernement pour « combattre l’austérité », le cadre de la mobilisation du 1er mai était tout autre, contribuant à brouiller un peu plus les enjeux des manifestations.

Sur fond de divisions, poker menteur entre directions syndicales et un appel qui n’était pas à la hauteur

Alors que FO était le grand absent de ce 1er Mai, l’Unsa, qui se situe dans le camp des « réformateurs » adeptes du « dialogue social » aux côtés de la CFDT, de la CFTC et de la CFE-CGC, figurait dans le carré de tête, comme un « intrus » au milieu des protestataires. En réalité, la présence de l’UNSA, proche de la CFDT, révèle le jeu de dupe de « l’unité syndicale à tout prix » qui se trame au sein des instances de direction, à commencer par celle de la CGT, soucieuse de ne pas trop gauchir son discours après l’appel du 9 avril ayant permis à Philippe Martinez, le nouveau secrétaire général de la CGT, de ressouder les rangs après le scandale Lepaon.

L’unité syndicale a bon dos puisqu’une fois que ce principe est vidé de tout contenu politique d’opposition au gouvernement, il peut être souscrit par n’importe qui. Ce n’est pas un hasard si Luc Bérille, secrétaire général de l’Unsa, était de ceux qui défendait le plus la question de « l’unité syndicale » en vue du 1er mai comme « prolongation de l’esprit du 11 janvier ».

On peut difficilement croire que Martinez se soit laissé manœuvrer sans le savoir par la CFDT et l’UNSA. Pour garantir un « 1er mai réellement unitaire », la CGT a convié aux réunions de préparation des mobilisations et la CFDT, et l’UNSA, le petit frère des cédétistes, qui s’était manifesté en faveur d’un « Premier mai unitaire » lors de son dernier congrès, le 31 mars. Si le but était d’entraîner la direction de la CFDT sur un terrain de rupture avec le gouvernement, c’est raté.

Après le 9 avril, la CGT était censée faire de la Journée des Travailleurs « une journée de mobilisation pour réagir aux politiques désastreuses qui menacent de transformer la crise financière en une stagnation de long terme et un chômage structurel élevé ». Le résultat a été tout autre.

Pour cela, la CFDT, épaulé par son petit frère, l’UNSA, a réussi à imposer dans un jeu d’appareil un appel ne remettant pas en cause le gouvernement et s’inscrivant dans le cadre de l’appel de la Confédération européenne des syndicats. Cet appel pour un premier Mai « à dimension européenne pour le progrès social » n’a finalement pas été signée par la CFDT, qui laisse l’UNSA devenir la caution de droite de l’appel.

De son côté FO, sous couvert de ne pas « faire le grand écart et, sous prétexte qu’il faut rassembler tout le monde, de défiler avec ceux qui ne sont pas contre l’austérité ni la loi Macron », a joué le jeu des divisions syndicales. Fidèle à son habitude, en réalité, l’organisation de Jean-Claude Mailly a envoyé une délégation au mur des Fédérés, au cimetière du Père-Lachaise, pour un traditionnel hommage aux morts de la Commune de Paris en 1871.

Cette bataille opaque entre directions syndicales a participé grandement à la faible mobilisation, par rapport à ce qu’on aurait pu espérer suite au 9 avril. En refusant de présenter clairement un plan de bataille sur comment il nous faudrait faire pour affronter le gouvernement ni comment il faudrait mener une contre-offensive à la hauteur des attaques du gouvernement contre le monde du travail et ses lois liberticides, impossible de mobiliser largement le monde du travail, ou du moins ses secteurs qui ont lutté ces derniers mois contre les bas-salaires, contre l’austérité ou pour le maintien de l’emploi.

Des équipes militantes qui sont toutefois descendues dans la rue

Malgré ce contexte, les mobilisations du Premier Mai ont été l’occasion pour les équipes militantes, tant syndicales que politiques, de se retrouver dans la rue, avec en province, de petits cortèges de plusieurs milliers de manifestants à Toulouse, Marseille ou encore Lyon. A Paris, sous une pluie fine tout au long du parcours de République à Nation, ce sont 12.000 manifestants qui ont battu le pavé pour dire leur colère contre le gouvernement, épinglant copieusement dans les slogans le ministre-banquier de l’Economie : « ?Macron, c’est tout bon pour les patrons ! Précarité, pour les salariés !? ». A noter, notamment, en plus la présence d’un cortège de travailleurs de Radio France, dont la grève contre l’austérité, les licenciements et la précarité a duré pendant 28 jours, soit le plus long conflit social de l’histoire de la Maison ronde. A noter, cependant, six mois après le début de la bataille Kobane et dans le cadre du tour de vis imposé par Erdogan en Turquie, les manifestations parisiennes et de province, comme à Toulouse ou à Mulhouse, ont fortement mobilisé l’extrême gauche kurde et turque à un niveau comparable à la fin des années 1990, après l’arrestation d’Ocalan.

Une campagne contre la répression syndicale et politique

Ce premier Mai a aussi été l’occasion de développer les campagnes déjà en cours contre la répression syndicale et politique. A Paris, c’est une banderole « Liberté d’expression ? Non à la répression ! Pas de prison pour Gaetan et les autres condamné.e.s pour avoir manifesté » qui a été déployée. Drapeaux, affiches et flyers ont également permis de populariser la campagne pour la réintégration de Yann, révoqué de La Poste pour ses activités syndicales dont un rassemblement de soutien est prévu le mardi 5 mai.

A Toulouse, la campagne pour les condamnés pour avoir manifesté a été relayée par un point fixe avec banderoles, affiches et mégaphone, soutenu par le comité anti répression de l’université de Toulouse-Le Mirail qui s’est par la suite constitué en cortège.

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Quelle perspective après le 1er Mai ?

Après avoir donné une première réponse au gouvernement lors du 9 Avril, ce 1er Mai, n’a pas permis de transformer l’essai, cela en grande partie du fait de divisions syndicales issues de batailles d’appareils et d’un appel qui ont découragé les travailleurs les plus convaincus d’en découdre et leurs aspirations à de réelles perspectives de lutte. La question est de savoir quelle suite il faut donner à ce premier Mai.

La direction de la CGT, le principal syndicat organisateur de la manifestation donne comme prochaine perspective une date « avant l’été » où « la CGT proposera de nouvelles initiatives et temps forts de mobilisations ». Le flou de la proposition indique combien le monde du travail ne pourra compter que sur ses propres forces pour exiger des directions syndicales d’être conséquentes, rompre complètement avec la logique du dialogue social et de proposer réellement un plan d’organisation pour contrer les mauvais coups du gouvernement. Pour faire reculer Hollande, Valls et Macron, à charge de l’extrême gauche et des équipes syndicales combatives, donc, de trouver un horizon pour souder les secteurs les plus déterminés car pour imposer nos intérêts, en toute indépendance de classe, il faudra établir un réel rapport de force.

02/05/15


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Vincent Duse

Ouvrier PSA-Stellantis Mulhouse, militant CGT

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