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Quel parti pour quelle stratégie ?

Dans cet article de 2008, Claudia Cinatti revient de façon approfondie sur les projets de partis larges et la liquidation du programme marxistes révolutionnaire par des courants de l'extrême-gauche trotskyste.

Claudia Cinatti

7 novembre 2023

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Quel parti pour quelle stratégie ?

Congrès fondateur du NPA en 2009 - NPA

On a vu refleurir au cours des dernières années, tant au sein des organisations d‘extrême gauche que dans certains milieux universitaires, le débat au sujet du rapport entre la « sphère du politique » et la « sphère du social ». On retrouve dans ce débat plusieurs positions allant de celles qui relisent les théories libérales à travers les postulats postmarxistes, réaffirmant l’autonomie absolue du politique, c’est-à-dire son autonomie par rapport à toute détermination objective [1], jusqu’à la réélaboration faite par certains courants d’extrême gauche, à l’image de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) en France ou du Socialist Workers Party (SWP) en Grande-Bretagne, de certains problèmes historiques de la stratégie marxiste comme le rapport entre lutte syndicale et lutte politique et, en dernière instance, entre les intérêts immédiats et les intérêts historiques du prolétariat.

Il ne s’agit-là en rien d’une nouveauté fondamentale. Ces débats ont traversé l’histoire du marxisme et du mouvement ouvrier depuis cent cinquante ans. Le fait que l’inégalité entre la sphère du politique et la sphère du social surgisse des contradictions mêmes de la domination capitaliste n’en signifie pas moins que cette inégalité s’exprime en fonction de caractéristiques propres à chaque période historique. Au XIXème siècle, Marx posait ce rapport en reprenant les termes de la dialectique hégélienne, et en posant la nécessité pour le prolétariat du passage de classe « en soi » à classe « pour soi » ou, en d’autres termes, de sa transformation en parti politique [2]. La conception selon laquelle la classe ouvrière devait intervenir sur le terrain politique dans sa lutte pour détruire le pouvoir bourgeois et établir son propre Etat a été une des caractéristiques du marxisme par rapport à d’autres courants tels que le trade-unionisme, le socialisme utopique ou l’anarchisme, tendances actives à l’époque au sein du mouvement ouvrier. Le rapport entre ces deux moments de surcroît n’était en rien harmonieux. Marx distinguait ce qu’il appelait le « parti au sens historique », identifié à la classe ouvrière en tant que sujet politique conscient de ses buts, et qui préfigurait dans son existence même la société à venir, du « parti à existence éphémère » [3], c’est-à-dire les organisations concrètes ayant un caractère transitoire et qui pouvaient cesser de coïncider avec les intérêts historiques du prolétariat.

Cette discussion est devenue centrale au cours du XX° siècle, une période caractérisée par l’actualité de la révolution prolétarienne et au sein de laquelle l’avènement de l’impérialisme avait ouvert une nouvelle époque : celle des « crises, des guerres et des révolutions ». La contradiction entre « spontanéité » et « conscience » s’est ainsi retrouvée au cœur des discussions au sein du marxisme russe, notamment entre 1902 et 1903, période au cours de laquelle Lénine polémique à travers le Que faire ? En reprenant à son compte une définition de Kautsky, Lénine distinguait entre la conscience trade-unioniste de la classe ouvrière de la « science socialiste » apportée de « l’extérieur » par l’intellectualité marxiste. La lutte politique contre le tsarisme impliquait ainsi une dimension politico-idéologique. Pour Lénine, le niveau de la lutte syndicale était spontanément bourgeois. C’est en cela qu’il était nécessaire de construire une organisation révolutionnaire ancrée dans la classe ouvrière sans pour autant se confondre avec elle. [4]

Cette discussion s’est posée à nouveau au cours des différentes révolutions russes du début du XX° siècle, 1905 et bien entendu 1917 : quel rapport entre les soviets, organes de fronts uniques et d’auto-organisation des masses et le parti bolchevique en tant qu’instrument de d’instauration de la dictature du prolétariat ? [5]

Aujourd’hui cependant, le contenu concret de ces discussions se trouve comme marqué par une sorte « d’esprit de l’époque », lourd héritage de la défaite du dernier cycle international de montée de la conflictualité ouvrière entre 1968 et 1976. C’est pour cette raison que l’on assiste depuis lors, et plus encore actuellement, à une remise en question tant du « sujet social » (la classe ouvrière) que du « sujet politique » (le parti léniniste) de la révolution, deux piliers sur lesquels le marxisme a historiquement bâti sa stratégie [6]. Cette sorte de doxa s’est transformée en un véritable phénomène de « mode » théorique, qui en est même venue à imprégner certains des courants les plus opportunistes de l’extrême-gauche d’origine trotskyste.

Une série de facteurs ont abouti au panorama complexe qui est le nôtre actuellement : offensive néo-libérale, reflux de la classe ouvrières sur le plan de ses acquis matériels, de ses capacités d’organisation et de ses luttes, et, au final, écroulement des régimes staliniens entre 1989 et 1991 et restauration capitaliste sans aucune résistance ouvrière. Voilà les ingrédients qui ont permis que, tant au sein du marxisme militant qu’au sein du marxisme académique, mâtiné de théories à la mode, on puisse décréter la fin du cycle historique ouvert par la victoire de la révolution d’Octobre [7].

Dans un court essai où il répondait à ceux qui, tout en prétendant s’en prendre au stalinisme, finissaient par s’attaquer au bolchévisme et au marxisme, Trotsky soulignait que « les époques réactionnaires (…) non seulement désagrègent et affaiblissent la classe ouvrière en isolant son avant-garde, mais abaissent également le niveau idéologique général du mouvement en rejetant la pensée politique loin en arrière, à des étapes dépassées depuis longtemps » [8]. La tâche la plus importante de l’avant- garde serait ainsi « de ne pas se laisser entraîner par le reflux général. Il faut aller contre le courant » et « se maintenir au moins sur les positions idéologiques ». Les plus ingénus confondront certainement cette position avec du sectarisme. Pour Trotsky en revanche, en se référant à l’expérience bolchevique dans les moments les plus sombres de réaction, il s’agissait-là de la seule issue afin de « préparer un nouveau bond gigantesque en avant, avec la vague de la prochaine montée historique. » [9]

Si l’on observe dans le passé récent les conséquences de l’offensive néo- libérale force est de constater combien la « pensée politique » de ceux qui se revendiquent du marxisme a elle aussi reculé à des étapes dépassées : le néo-bernsteinisme, les utopies libertaires et autonomistes en viennent à être présentées comme de grandes nouveautés. Une partie des organisations de matrice trotskyste n’ont pas su se « maintenir », comme le disait Trotsky en août 1937, sur des positions idéologiques et stratégiques marxistes. C’est ce que montre par exemple la décision de la LCR de renoncer à toute référence à la dictature du prolétariat.

Mais après près de trente années d’offensive patronale, la réalité a commencé à changer. Si l’on doit prendre une date emblématique, on ne peut pas ne pas faire coïncider ce changement lent, mais soutenu, avec les grèves de novembre-décembre 1995 en France, un mouvement qui a représenté un point d’inflexion dans la reprise de la résistance ouvrière face aux attaques de la bourgeoisie. A cette étape on a vu se succéder le mouvement anti-globalisation qui a fait irruption à partir de 1999 à Seattle puis le mouvement antiguerre.
En Amérique latine on a assisté à l’approfondissement d’une tendance allant dans le sens d’un accroissement de l’action directe et des soulèvements populaires (Argentine 2001, Bolivie 2003, Équateur, etc.). Ces mouvements, lorsqu’ils ont renversé les gouvernements néo- libéraux en place, ont permis l’arrivée au pouvoir de courants renouant avec le populisme.

La croissance économique des quatre dernières années a renforcé la classe ouvrière d’un point de vue social par le biais de l’intégration de millions de jeunes prolétaires au monde du travail. Du point de vue des luttes revendicatives cette situation a contribué dans de nombreux cas à faire naître des processus de réorganisation ou l’adoption de méthodes radicales de lutte. Cette reprise a néanmoins également favorisé le développement de tendances réformistes, rendant plus contradictoire et complexe la perspective de la constitution de la classe ouvrière en tant que sujet politique hégémonique porteur d’un projet d’émancipation, de même que son expression la plus consciente, à savoir la construction de partis ouvriers marxistes fortement insérés au sein du prolétariat. Cela est particulièrement visible lorsque l’on se note qu’il n’existe aucune tendance à l’indépendance de classe au sein de pans significatifs du mouvement ouvrier.

L’autre phénomène important à l’heure actuelle, en plus du retour sur le devant de la scène d’une certaine conflictualité ouvrière, c’est la crise de ce que l’on a appelé les « partis ouvriers bourgeois » - notamment le SPD allemand, le PS français, le Labour britannique, les PC français et italiens, le PT brésilien -, c’est-à-dire des partis ouvriers fondés pour la plupart entre la fin du XIXème et le début du XXème (à l’exception bien entendu du PT brésilien créé tardivement) qui ont représenté la direction historique du mouvement ouvrier. Une direction partagée avec le nationalisme bourgeois dans différentes pays de la périphérie capitaliste. Les fondements de la crise de ces partis sont à chercher du côté du fait qu’ils ont été les agents de l’offensive patronale, se transformant ainsi en partis sociaux-libéraux, ce qui a fini par leur aliéné leur base électorale traditionnellement salariée.

C’est dans ce cadre général qu’est apparue, tout d’abord au sein de l’extrême gauche européenne la discussion au sujet de la construction de « partis anticapitalistes larges », qui a mené à la fondation du Scottish Socialist Party (SSP) en 1998, au Bloco de Esquerda au Portugal en 1999, au Parti de Gauche en Suède, à l’Alliance Rouge et Verte au Danemark (dans ces deux derniers cas, ces partis ont vu le jour au début des années 1990) et à la Socialist Alliance puis à RESPECT en 2004 en Grande-Bretagne. On peut également songer au rôle joué par les principales tendances du trotskysme en Italie au sein de Refondation Communiste (PRC) pendant plus de dix ans ou, plus récemment, lors de la fondation de Die Linke en Allemagne. Dans ces deux derniers cas, il ne s’agit pas de courants impulsés par des groupes d’extrême gauche mais les résultantes objectives de ruptures avec la social-démocratie, dans le cas allemand, ou les partis communistes, dans le cas italien. De son côté, la LCR française vient d’officialiser son appel à la formation d’un Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA).

Cette discussion et cette politique a également touché, dans un second temps, l’extrême gauche latino-américaine. C’est ainsi qu’au Brésil on a pu assister à la fondation du Parti Socialisme et Liberté (PSOL) à partir d’une rupture d’un secteur de la gauche du PT. En Argentine, on retrouve l’expression de ces « partis larges » dans la Nueva Izquierda (« Nouvelle Gauche ») impulsée par le Mouvement Socialiste des Travailleurs (MST) qui vient d’opérer un brusque virage en direction de la gauche modérée et essaie de fusionner avec des courants péronistes dissidents regroupés autour de Proyecto Sur. La direction du MST pose clairement la perspective de « confluer vers un espace national et populaire » avec les « secteurs progressistes radicalisés » de manière à fonder un mouvement commun qui serait capable de « dépasser », y compris d’un point de vue programmatique, toute l’expérience de l’extrême gauche trotskyste des dernières années. C’est cette même logique qui a conduit le MST et ses sympathisants au Venezuela à se diluer au sein du Parti Socialiste Uni Vénézuélien (PSUV) chaviste.

Ces projets de partis, au sein desquels coexistent réformistes et révolutionnaires, se basent sur une absence totale de définition de classe. Il s’agit d’ailleurs soit de partis petits-bourgeois soit d’alliances de type « front- populistes » ou, dans le cas spécifique du PSUV chaviste au sein duquel sont entrés certains courants d’extrême gauche, de partis nationalistes bourgeois. Ces organisations ont été les instruments qui ont permis de capitaliser, de manière opportuniste, un espace laissé vacant par le virage néolibéral du réformisme traditionnel. Elles sont d’ailleurs le plus souvent l’expression d’un secteur électoral plutôt que d’un processus de radicalisation politique.

La recomposition lente de la classe ouvrière ainsi que le surgissement de gouvernements de centre-gauche « post-néolibéraux » ont été les cadres à partir desquels ces courants ont très rapidement capitulé. C’est le cas bien entendu de Démocratie Socialiste (DS) au Brésil, qui a participé au gouvernement Lula, ou encore de la version « anti-libérale » de DS, le PSOL, qui n’en a pas moins voté au Parlement les lois qui anticipaient la réforme du marché du travail opérée en faveur des PME brésiliennes. L’autre « grand modèle » de parti large anticapitaliste, Refondation Communiste (PRC) en Italie, qui avait reçu pendant plus d’une décennie de nombreux éloges de la part de l’extrême gauche européenne, a fini par participer directement au gouvernement Prodi et par soutenir ses politiques anti-ouvrières et impérialistes. On peut enfin également songer, sur un autre plan, à la crise terminale que traverse RESPECT en Grande-Bretagne. Dix ans après le début de ces expériences et au vu des crises que traversent aujourd’hui plusieurs de ces partis et courants, il serait nécessaire de réaliser un bilan critique.

Nous centrerons notre critique, au fil de cet article, sur la discussion des positions de la LCR de France et du SWP britannique, deux des principaux partisans actifs de la dynamique des « partis larges anticapitalistes ». Nous tenterons de montrer comment, à notre avis, la théorisation de la constitution d’organisations sans délimitation stratégique ou de classe est étroitement liée à l’abandon d’une stratégie révolutionnaire conséquente.

Sans hypothèses de révolution. Le débat au sein de la LCR

Les hypothèses stratégiques

Dans un ouvrage récent Daniel Bensaïd parle, pour rendre compte du reflux subi par le mouvement ouvrier international au cours des trente dernières années, de « degré zéro de la stratégie ». Il entend par-là la disparition des polémiques et des discussions entre courants de l’extrême gauche autour de problèmes cruciaux aussi centraux que l’auto-organisation, le foquisme, la participation ou non à des gouvernements de front populaire, etc. [10] Si Mai 68, l’automne chaud italien de 1969, la Révolution des œillets au Portugal, la guerre du Vietnam ou les processus révolutionnaires de la première partie des années 1970 dans le monde semi-colonial, à l’image du Chili, avaient actualisé le débat sur les stratégies pour la prise du pouvoir –traçant notamment une ligne de partage entre les partisans de la prise du pouvoir sur la base de l’auto-organisation de la classe ouvrière et de la grève générale insurrectionnelle et les partisans de la guérilla, du foquisme ou de la « guerre populaire prolongée » - la défaite de ces expériences a rayé d’un trait ce débat stratégique. Non pas parce qu’une de ces deux stratégies aurait triomphé sur l’autre mais plus tragiquement parce qu’elles ont toutes les deux été écrasées par la contre-révolution ou déviées par des mécanismes démocratique-bourgeois.

Bensaïd souligne dans son texte que depuis la seconde guerre mondiale deux grandes hypothèses stratégiques se sont affrontées. D’abord, l’hypothèse que Bensaïd qualifie de « grève générale insurrectionnelle ». De manière peut-être trop simplifiée ou imprécise, cette hypothèse stratégique se réfère à la stratégie révolutionnaire élaborée sur la base du « modèle » russe de 1917, c’est-à-dire celui d’une révolution dirigée par la classe ouvrière en alliance avec les classes subalternes, avec hégémonie des centres urbains sur la campagne, établissant la dictature du prolétariat basée sur des soviets ou conseils d’ouvriers et paysans en tant qu’organes d’auto-organisation et prenant le pouvoir par le biais d’une insurrection armée dirigée par un parti marxiste révolutionnaire.

La seconde hypothèse est la « guerre révolutionnaire prolongée », qui repose essentiellement sur la paysannerie en tant que classe révolutionnaire et sur des directions petites-bourgeoises, en règle générale populistes ou staliniennes, dont l’orientation politique s’articule autour de la guerre de guérilla et une stratégie de collaboration de classe avec des secteurs des « bourgeoisies nationales » à l’image du « bloc des quatre classes » maoïste ou des gouvernements « démocratiques » du Viet-Nâm et de Cuba, qui ont précédé l’expropriation et la nationalisation des moyens de production. La théorie du « foco » ou « foyer de guérilla » guévariste ne peut qu’être inscrite dans cette même stratégie guérillériste dans la mesure où la révolution n’y est pas réalisée, selon Ernesto Guevara, par le biais d’une insurrection de masse mais à travers l’action déterminée d’un parti-armée, même si son objectif est la révolution socialiste, c’est-à-dire l’expropriation et la nationalisation des moyens de production, et non l’alliance avec « la bourgeoisie nationale ».

Afin de compléter le cadre du débat stratégique - guerre populaire prolongée d’une part et grève générale insurrectionnelle de l’autre - il faudrait ajouter deux autres stratégies nées des entrailles du mouvement de masse [11].
Nous pourrions appeler la troisième stratégie « stratégie gradualiste ». Adoptée au début du XX° siècle par les partis de la IIème Internationale d’abord comme une soi-disant voie évolutive vers le socialisme puis comme une forme de gestion de l’Etat capitaliste, cette stratégie a donné lieu au réformisme basé sur le syndicalisme et le parlementarisme présentés comme des moyens d’obtention de concessions partielles. Il s’agit-là de ce qui continue à être aujourd’hui le principal phénomène politique. Cette stratégie ne concerne pas seulement les partis réformistes traditionnels – qu’ils soient sociaux-démocrates, staliniens, travaillistes, etc.- mais également la bureaucratie qui dirige les syndicats, outil privilégié pour modeler de larges franges du monde du travail dans l’idéologie bourgeoisie. Bien que les marges de manœuvre permettant d’obtenir des réformes sur la durée, tel qu’elles ont pu exister pendant les années de boom relatif des Trente Glorieuses, n’existent plus, le réformisme continue à avoir une prégnance importante sur la base de l’illusion des exploités qu’il serait possible d’obtenir des concessions en faisant pression sur les institutions capitalistes.

La quatrième stratégie est incarnée par l’autonomisme et ce qui reste de l’anarchisme. Il s’agit d’une stratégie que Bensaïd associe à « l’illusion du social », dans la mesure où elle affirme « l’immanence » du politique dans la sphère sociale. En niant la médiation politico-étatique et la nécessité pour les opprimés de détruire le pouvoir bourgeois et de construire leur propre État, basé sur des organes d’autodétermination de masses, cette quatrième stratégie en vient à défendre pour seule stratégie « l’exode », en lieu et place de l’affrontement avec les classes possédantes et leur Etat. Sur le terrain des idées, ces courants recréent certaines utopies pré-capitalistes qui ne sont pas sans rappeler le proudhonisme, à l’image de leur défense de la production à petite échelle et de l’organisation communale. Politiquement ces idéologies libertaires qui sont fermement opposées à la construction de toute organisation révolutionnaire et à la dictature du prolétariat comme société de transition entre capitalisme et socialisme ont généralement fini par s’adapter à l’une des tendances du régime bourgeois. Au cours des dernières années, ces tendances autonomistes ont connu leur moment de gloire avec l’apogée du mouvement altermondialiste, en recrutant énormément au sein des classes moyennes et dans une moindre mesure parmi les syndicalistes combatifs [12]

Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, le déplacement de l’axe de la révolution du centre vers la périphérie capitaliste fit que des révolutions anticoloniales avec une base essentiellement paysanne et des directions non révolutionnaires devinrent les variantes révolutionnaires les plus communes au niveau mondial. Dans certains cas ces révolutions anticoloniales ont même fini par donner vie à des États ouvriers profondément bureaucratisés. Dans d’autres, comme en Algérie ou au Nicaragua, il n’y eut aucune destruction des rapports capitalistes. La généralisation de ce type de révolution a eu un impact énorme au sein du mouvement trotskyste de l’après-guerre au point où Nahuel Moreno par exemple en vint à tirer la conclusion que ce type de scénario, que Trotsky avait considérée comme une hypothèse exceptionnelle, était devenu une « norme » des révolutions du XXème siècle [13].

Alors que la stratégie de la révolution ouvrière a eu un écho bien moindre dans le cadre du dernier cycle international de montée de la conflictualité sociale, dont l’apogée coïncide avec la moitié des années 1970, les thèses foquistes ou de guerre populaire prolongée ont joué un rôle important. Elles ont été à l’origine de la défaite de certains processus ou à la base de la création d’Etats ouvriers profondément déformés. Dans le cas du Vietnam par exemple, l’arrivée au pouvoir d’une variante locale de l’appareil stalinien international empêcha la transformation de la défaite de l’impérialisme étasunien en une victoire stratégique pour la classe ouvrière mondiale.

A partir de l’opposition entre ces deux stratégies, « grève générale insurrectionnelle » d’un côté et « guerre populaire prolongée » de l’autre, Bensaïd entend faire une synthèse des processus révolutionnaires du XXème siècle. A aucun moment cependant il ne souligne qu’il ne s’agissait en rien de deux stratégies équivalentes pour la prise du pouvoir. Ici, one peut oublier que si la LCR en France s’est construite autour de l’hypothèse de la « grève générale insurrectionnelle » (tout en la combinant à une bonne dose de « guévarisme »), le Secrétariat Unifié de la IV° Internationale (SU), organisation internationale à laquelle la Ligue était affiliée, ne revendiquait pas seulement la direction d’Hô Chi Minh dans le cas vietnamien mais défendait également, pour l’Amérique latine où elle était implantée, une stratégie paysanne de « guerre populaire » ou de foquisme qui, en cas de victoire, n’aurait en rien débouché sur l’instauration d’États ouvriers basés sur des organismes d’autodétermination des masses. En Argentine, le Parti Révolutionnaires des Travailleurs (le PRT-El Combatiente de Roberto Santucho), qui fut pendant des années la section officielle du SU, a ainsi défendu une ligne de collaboration de classes [14] Au Nicaragua, le SU revendiquait la ligne du Front Sandiniste (FSLN) qui défendait pourtant une politique bourgeoise d’économie mixte. La victoire du FSLN sur la dictature de Somoza ne mena en effet pas à l’expropriation des capitalistes et la direction sandiniste finit par remettre le pouvoir, à la suite d’élections, à une fraction de la bourgeoisie regroupée autour de Violeta Chamorro.

Cette discussion n’est en rien secondaire. Après trois décennies de reculs, la révolution sociale comme alternative au système capitaliste, et plus encore l’hypothèse de la « grève générale insurrectionnelle » ont été profondément remises en question. Le reflux a littéralement balayé ces débats stratégiques, non seulement chez les intellectuels (post)-marxiste mais également au sein des organisations de gauche marxiste qui se sont, récemment, généralement contentées de se rattacher au régime chaviste au Venezuela ou au gouvernement d’Evo Morales en Bolivie comme des « révolutions possibles ». Ce n’est donc pas un hasard si le dépoussiérage du guévarisme par la LCR, qui entend en démontrer « l’actualité » pour la rénovation du socialisme du XXIème siècle coïncide, avec son appel à construire le NPA. Dans le débat stratégique ouvert aujourd’hui au sein de la LCR, l’ensemble des tendances et des courants [15] partagent un élément en commun : la validité historique de l’hypothèse de la « grève générale insurrectionnelle » est remise en question par la clôture de l’ère ouverte par la Révolution d’octobre tandis que la « guerre populaire prolongée », incarnée par des organisations gauchistes telles que la Fraction Armée Rouge (RAF) allemande ou les Brigades Rouges (BR) italiennes, a également démontré son impuissance dans les pays capitalistes avancés.

Si auparavant la LCR oscillait entre deux hypothèses de révolution armée, la Ligue résout aujourd’hui ce dilemme en considérant ces deux hypothèses comme périmées et en glissant vers une stratégie électoraliste et parlementaire, dans laquelle la catastrophe économique et sociale semble avoir disparu de l’horizon des pays centraux, de même que l’irruption sur la scène sociale et politique du prolétariat et des classes subalternes. C’est uniquement de la sorte qu’il est possible d’expliquer « l’illusion » de la LCR dans la démocratie bourgeoise alors que l’organisation ne peut pas même compter sur une représentation institutionnelle sérieuse, et encore moins parlementaire, à la différence de la vieille social-démocratie allemande qui élection après élection renforçait son poids au Parlement. Si la direction de la LCR considère que les formes d’émergence du double pouvoir et ses caractéristiques (l’hypothèse stratégique) sont hautement imprévisibles, il semble qu’elle considère que la seule possibilité concrète réside dans le fait que les institutions du régime démocratique bourgeois sont appelées à jouer un rôle central dans l’émergence de ce double pouvoir.

La « démocratie jusqu’au bout » … n’est rien d’autre que la dictature de la bourgeoisie

On sait comment lors de son Congrès de 2003 la LCR a décidé d’éliminer de son programme toute mention à la dictature du prolétariat. Pour ce faire il a été dit qu’en raison de problèmes lexicaux et en raison du grand nombre d’expériences autoritaires et dictatoriales ayant émaillé l’histoire du XX° siècle, le terme « dictature » était beaucoup trop associé à un système autoritaire et répressif. Dans un précédent article nous avions polémiqué contre cette conception en montrant comment il ne s’agissait ni d’un problème formel ou terminologique [16]. Ce qui est en jeu est plutôt le virage programmatique que sous-tend ce choix. La LCR troque en effet la lutte pour la destruction de l’Etat bourgeois et la construction d’un Etat ouvrier soviétique pour une stratégie de « démocratie radicale » qui présuppose que la révolution dans les pays avancés, au-delà de la forme qu’elle pourrait prendre et des événements qui en seraient à la base, impliquerait inévitablement un certain degré de continuité avec les institutions actuellement existantes de la démocratie bourgeoise, à commencer par le parlement. Ce n’est pas un hasard si ce changement stratégique a été comparé au virage vers l’eurocommuniste opéré par les partis staliniens d’Europe occidentale à partir des années 1970.

C’est en ce sens qu’Antoine Artous souligne par exemple que « dans des pays comme ceux de l’Europe de l’Ouest (et aussi dans d’autre pays), on ne peut croire que ce nouveau pouvoir surgira en extériorité complète avec certaines institutions politiques en place, notamment les assemblées élues sur la base du suffrage universel. C’est pourquoi, et cela d’ores et déjà, il faut mener bataille pour leur démocratisation radicale » [17]. Daniel Bensaïd met en exergue à son tour le rôle qu’aurait à jouer « le suffrage universel dans des pays à tradition parlementaire plus que centenaire ». Les discussions au sujet des sociétés de transition, ainsi que la révision du bilan de la stalinisation de l’ex URSS confirment également que ce débat n’est pas simplement sémantique. L’ajustement programmatique de la LCR ne renvoie pas seulement au régime politique à construire mais remet également en cause les formes de propriété et les bases mêmes de l’Etat de transition. Le système de « double représentation » qu’elle défend, c’est-à-dire de coexistence d’un régime soviétique aux côtés d’une chambre parlementaire qui, en dernière instance, aurait à trancher à travers le suffrage universel dans des situations d’exception, n’est que l’expression d’une espèce de « coopérativisme » à travers lequel la LCR entend conjurer le danger de bureaucratisation d’une société post- capitaliste à construire. [18]

L’exemple que donne Bensaïd de naissance d’un « double pouvoir » à l’intérieur des institutions bourgeoises est ainsi l’expérience du budget participatif de Porto Alegre au Brésil. Il se fonderait sur une « dialectique » entre gouvernement municipal élu au suffrage universel et « comités » ayant à discuter des attributions budgétaires. Il va de soi que la « dialectique » entre la municipalité de Porto Alegre et le budget participatif repose enfait sur la gestion de l’Etat et de l’économie capitaliste.

La proposition consistant à « combiner » deux systèmes, le système républicain bourgeois et le système soviétique, ne constitue en rien une nouveauté. Il s’agit-là de la vieille idée de Hilferding et des dirigeants du Parti Social-Démocrate Indépendant au cours de la révolution ouvrière allemande de 1919. A la suite de la chute du Kaiser, ils cherchaient à « constitutionnaliser » les conseils d’ouvriers et de soldats qui avaient vu le jour au cours du processus révolutionnaire en les intégrant à la République de Weimar et en tentant ainsi de lier « la dictature du prolétariat à la dictature de la bourgeoisie sous l’égide de la constitution. » [19]

La fascination à l’égard des possibilités offertes par la démocratie bourgeoise est en fait aussi vieille que les organisations de masse du mouvement ouvrier. Il s’agit-là du parcours de la social-démocratie allemande au début du siècle dernier. L’aile révisionniste de ce même parti mené par Bernstein avait cru trouver dans la démocratie parlementaire une forme « civilisée » de gouvernement, apte à dépasser le despotisme propre aux dictatures de classe. On vit rapidement combien cette conception était en fait également partagée par l’aile « orthodoxe » du parti.

Kautsky est effectivement à l’origine du virage que l’on peut résumer à la fameuse distinction entre « guerre d’usure » et « guerre d’anéantissement ». Selon Kautsky, en raison des positions préalablement conquises, la classe ouvrière allemande était en condition de mener une « guerre d’usure », c’est-à-dire de saper de l’intérieur le régime bourgeois. Les institutions les plus adéquates pour mener cette « guerre d’usure » n’étaient autres que les syndicats et le parlement. Dans sa polémique contre les positions défendues par l’aile gauche du parti, Anton Pannekoek et Rosa Luxemburg, Kautsky soulignait que « l’objectif de notre lutte continue à être la même : la conquête du pouvoir d’Etat par le biais de l’obtention d’une majorité parlementaire et le passage du parlement à des fonctions de gouvernement. En aucun cas nous ne cherchons à détruire le pouvoir de l’État. » [20] Pannekoek répond à Kautsky en soulignant le rapport proportionnellement inverse existant entre la force du prolétariat d’une part et l’impuissance de la fraction social-démocrate au parlement de l’autre. Quasi simultanément, bien que sans intervenir au sein du débat traversant à l’époque la social-démocratie allemande, Lénine mettait en exergue dans son article « Marxisme et révisionnisme » la nécessité de défendre une politique diamétralement opposée à celle défendue par Kautsky en soulignant comment « le parlementarisme n’élimine en aucune sorte mais met au contraire à nu le caractère d’oppression de classe inné qu’exercent mêmes les républiques bourgeoises les plus démocratiques ». Tout en permettant une participation des masses opprimées aux événements politiques dont elles étaient auparavant exclues, Lénine montrait également combien parlementarisme et démocratie bourgeoise ne pouvaient amortir les crises mais au contraire exacerber les antagonismes de classe au moment de la révolution. « Quiconque, écrit Lénine en 1908, ne comprend pas l’inéluctable dialectique intérieure du parlementarisme et du démocratisme bourgeois, laquelle conduit à une solution du conflit, encore plus tranchée qu’autrefois, par la violence exercée contre les masses, ne saura jamais faire sur le terrain de ce parlementarisme une propagande et une agitation conformes à nos principes et susceptibles de préparer en fait les masses ouvrières à participer victorieusement. À ces « conflits » » [21].

L’exemple même de ce manque de préparation au cours d’une étape parlementaire réside dans les alliances ou les cartels électoraux avec des secteurs réformistes ou libéraux qui « ne font qu’émousser la conscience des masses, qu’au lieu d’accentuer ils atténuent la portée véritable de leur lutte, en liant les combattants aux éléments les moins aptes à combattre, les plus prompts à la défaillance et à la trahison » [22]. L’expression la plus aboutie de cette tendance n’est autre que le « ministérialisme », c’est-à-dire la participation directe à des gouvernements bourgeois.

C’est cette « dialectique », que critiquent Lénine et Pannekoek, qui finit par s’imposer en Allemagne. On connaît également son aboutissement. La soi-disant « stratégie d’usure » de Kautsky finit par saper la capacité révolutionnaire de la social-démocratie et du prolétariat allemand en le conduisant de défaite en défaite. La social-démocratie démontra ainsi qu’elle n’était en rien un parti construit pour la lutte de classes. Face à l’imminence de la première guerre mondiale, non seulement la social-démocratie fut incapable d’organiser la moindre grève générale de masse, mais l’ensemble du groupe parlementaire, à l’exception notable de Liebknecht, vota les crédits de guerre dont avait besoin l’Etat allemand pour se jeter à bras le corps dans la première des boucheries mondiales. On peut tracer un parallèle avec une autre des grandes catastrophes allemandes, la montée du nazisme. Quelques années après, le philosophe Walter Benjamin concluait à ce sujet que « le conformisme dès l’origine inhérent à la social-démocratie n’affecte pas seulement sa tactique politique, mais aussi ses vues économiques. C’est là une des causes de son effondrement ultérieur. Rien n’a plus corrompu le mouvement ouvrier allemand que la conviction de nager dans le sens du courant » [23].

Antoine Artous essaie d’éviter la critique en se demandant, sans même tenter de répondre, si la « radicalisation de la démocratie » que la LCR pose comme horizon politique n’est pas en ultime instance similaire aux positions des austro-marxistes des années 1920 ou à celles défendues par l’eurocommunisme. Sans pour autant mettre sur le même plan la LCR et le réformisme ouvrier traditionnel propre à la II° Internationale, qui pensait que le renforcement social et politique du prolétariat ouvrirait la voie à une transition pacifique et évolutive au socialisme, les prises de position des dirigeants de la LCR sur le rôle qu’aurait à jouer la démocratie bourgeoise, transformant ses mécanismes, à l’image du suffrage universel ou le système d’assemblée, en des principes abstraits, rend cependant la comparaison inévitable.

La direction de la LCR agit comme si le XXème siècle avait eu lieu en vain. Comment ne pas songer à la manière dont, même dans les pays où la tradition démocratique est la plus ancrée, en cas de crise économique, de montée de la lutte de classe ou d’une situation quelconque de « crise nationale » qui en vient à briser le consensus entre les classes fondamentales, la démocratie bourgeoise se dégrade et se transforme en bonapartisme ? La façon dont sa base sociale traditionnelle a tendance à se tourner vers des instruments politiques permettant la restauration de l’ordre, facilitant ainsi les tâches de la contre-révolution par le biais de l’instauration de régimes fascistes ? C’est pourtant là que sont à rechercher les causes de la tragédie du prolétariat allemand qui ne sut combattre par des méthodes révolutionnaires la montée du nazisme. Même dans des moments dits « normaux » et dans le cadre des mécanismes classiques de la démocratie parlementaire, ce genre de situation peut se lire par exemple dans la base électorale dont dispose le FN en France ou encore dans la bonapartisation du régime étasunien à la suite des attentats du 11 septembre. Bien que les dirigeants de la LCR insistent sur le fait que leur nouvelle orientation ne signifie en rien d’un retour à la vieille stratégie de conquête graduelle du pouvoir par voie parlementaire, la « démocratie jusqu’au bout » et le « ministérialisme » y ressemblent à s’y méprendre.

A propos du gouvernement ouvrier

Nous venons d’aborder une des principales discussions stratégiques qui traverse aujourd’hui la LCR : dans les pays capitalistes avancés, le double pouvoir ne pourrait émerger « de l’extérieur » mais uniquement à partir des institutions politiques existantes. Il existe une autre question centrale : celle de la participation ou non des révolutionnaires à des gouvernements (bourgeois) « de gauche » dirigés par des partis ouvriers réformistes ou socio-libéraux et, problème subsidiaire, des voies tactiques permettant de capitaliser un espace fondamentalement électoral de secteurs du monde du travail qui ne se retrouvent plus sur les positions des partis réformistes traditionnels.

La discussion au sujet de la tactique du gouvernement ouvrier semble permettre de répondre à la question du seuil à partir duquel une organisation révolutionnaire pourrait participer à des institutions gouvernementales de la bourgeoisie. Bensaïd se base ainsi sur les discussions qui ont traversé la III° Internationale en 1921 au sujet de la proposition faite à l’époque par le KPD d’intégrer le gouvernement de Saxe au sein duquel sociaux- démocrates et communistes auraient été majoritaires. Selon Bensaïd la discussion aurait était tranchée de façon ambiguë dans la mesure où certains, à l’image de Zinoviev, auraient confondu gouvernement ouvrier et dictature du prolétariat et, par conséquent, posé des conditions totalement démesurées pour rendre possible la création d’une formation gouvernementale de transition.

Pour Bensaïd les conditions en fonction desquelles une organisation révolutionnaire aujourd’hui devrait participer à un gouvernement ouvrier devraient être revues à la baisse. Elles consisteraient fondamentalement en trois points : « a) que la question d’une telle participation se pose dans une situation de crise ou du moins de montée significative de la mobilisation sociale, et non pas à froid ; b) que le gouvernement en question se soit engagé à initier une dynamique de rupture avec l’ordre établi (par exemple -plus modestement que l’armement exigé par Zinoviev- une réforme agraire radicale, “incursions despotiques” dans le domaine de la propriété privée, abolition des privilèges fiscaux, rupture avec les institutions de la cinquième république en France, des traités européens, des pactes militaires, etc.) ; c) enfin que le rapport de force permette aux révolutionnaires sinon de garantir la tenue des engageemnts du moins de faire payer au prix fort d’éventuels manquements » [24]. Avec de tels arguments, la LCR n’actualise en rien un vieux débat. Elle semble au contraire justifier sa politique de capitulation face au gouvernement Lula ainsi que son adaptation au chavisme et au gouvernement vénézuélien, ce sur quoi la LCR est suivie par la quasi-totalité de l’extrême gauche. En réalité, le débat au sein de la III° Internationale avait permis de résoudre la question en précisant que la tactique du « gouvernement ouvrier » n’était que la conclusion logique de la tactique du front unique, un des débats centraux de l’époque d’ailleurs. Cette tactique permettait de surcroît de répondre à la relative marginalité par rapport au mouvement de masse à laquelle étaient condamnés les partis communistes occidentaux dans un moment de reflux de la poussée révolutionnaire.

Dans son « Rapport sur le Quatrième Congrès de l’Internationale Communiste » lu lors du X° Congrès des Soviets en décembre 1922, Trotsky expliquait ainsi que l’importance de la consigne de gouvernement ouvrier ne résidait pas tant dans les possibilités de sa réalisation que dans le fait que cette consigne permettait « d’opposer politiquement la classe ouvrière dans son ensemble à toutes les autres classes, c’est-à-dire à toutes les fractions politiques du monde bourgeois ». C’est en ce sens que le dialogue qu’ouvrait l’IC avec des masses qui ne partageaient pas l’objectif stratégique de la révolution socialiste revenait à dire « Ouvriers socialistes, syndicalistes, anarchistes, ouvriers sans parti ! On vous baisse les salaires, on vous augmente la journée de travail, le coût de la vie augmente. Ces choses n’arriveraient pas si les ouvriers malgré leurs différences pouvaient s’unir et mettre sur pied leur propre gouvernement ». [25].

En ce qui concerne la participation du KPD allemand au « gouvernement ouvrier » de Saxe, la direction de la III° Internationale conseillait : « si vous, nos camarades communistes allemands, étiez de l’avis qu’une révolution est possible dans les prochains mois en Allemagne, alors nous vous conseillerions de participer en Saxe à un gouvernement de coalition et d’utiliser vos postes ministériels en Saxe pour progresser dans nos tâches politiques et organisationnelles pour transformer la Saxe pour ainsi dire en terrain de manœuvres communiste, de sorte que nous ayons un bastion révolutionnaire déjà renforcé dans une période de préparation à l’éclatement prochain de la révolution. Cela serait uniquement possible si la pression de la révolution se fait déjà sentir, uniquement si elle se trouve déjà à portée de main. (…) Mais à l’heure actuelle vous ne joueriez en Saxe qu’un rôle d’appendice, celui d’appendice impuissant parce que le gouvernement de Saxe lui-même est impuissant face à Berlin et que Berlin, c’est le gouvernement bourgeois ». La consigne de « gouvernement ouvrier » avait donc un sens précis. Il s’agissait d’un instrument de dialogue qui permettait de faire avancer des secteurs du mouvement ouvrier afin d’affronter le régime bourgeois dans son ensemble. De la même manière, la participation à un gouvernement ouvrier réformiste – local dans le cas du gouvernement de Saxe- ne pouvait être qu’une brève transition en vue de l’organisation de la prise du pouvoir. Sans cela, il ne se serait agi que d’une gestion ouvrière d’un Etat capitaliste. Par la suite, dans Le Programme de transition, la consigne de gouvernement ouvrier prend deux sens distincts. Il s’agit d’une part de popularisation du concept de dictature du prolétariat. De l’autre, cette consigne consiste en une tactique spécifique destinée à démasquer les vieilles directions alliées à la bourgeoisie. Dans les deux cas, la consigne de gouvernement ouvrier n’en a pas moins un contenu hautement anticapitaliste et anti-bourgeois.

Cet aspect du débat mené à l’intérieur de la III° Internationale n’a donc rien à voir avec la discussion en cours au sein de la LCR qui tourne en revanche autour de la question de la « gestion municipale », avec pour modèle l’expérience de Porto Alegre, ou de la participation à des majorités (municipales) locales, avec pour seule exigence qu’il ne s’agisse pas de majorités menées par le PS. Bien que Bensaïd prenne ses distances par rapport à la participation de Miguel Rossetto, dirigeant de Démocratie Socialiste (DS, section brésilienne du SU), au gouvernement Lula en tant que ministre, il faut souligner que le « ministérialisme » n’est rien d’autre que la conclusion logique du « municipalisme », c’est-à-dire de la gestion du gouvernement municipal de Porto Alegre en tant qu’aile gauche du PT. Sur ce point d’ailleurs, il n’y a jamais eu de véritable autocritique vis-à-vis de la politique opportuniste de la section brésilienne qui l’a menée en définitive à intégrer le gouvernement Lula [26].

Encore une fois sur la dictature du prolétariat

Dans sa fameuse lettre à son ami Joseph Weydmeyer, Marx soulignait de manière lapidaire que son plus grand apport n’avait pas été d’avoir souligné la centralité de la lutte de classe comme moteur de l’histoire mais d’avoir montré que « la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat [et que] cette dictature elle- même ne représente qu’une transition vers l’abolition de toutes les classes et vers une société sans classes » [27]. Pour les marxistes la « démocratie » n’est pas une forme politique générale mais la forme politique d’un Etat fonctionnelle à la domination d’une classe. Par conséquent la « démocratie bourgeoise », même « jusqu’au bout », qui ne saurait être autre chose, à notre avis, qu’un régime dominé par une majorité parlementaire de partis ouvriers, continue à être la « meilleure enveloppe » de la domination brutale et despotique du capital.

Nous n’affirmons rien de nouveau en reprenant cette affirmation. Nous nous contentons d’actualiser en fonction de l’histoire du XXème siècle ce qui était déjà source de polémique entre les bolcheviques, Kautsky, Hilferding et les intellectuels sociaux-démocrates les plus critiques du régime soviétique. Comme le soulignait Lénine, « La dictature du prolétariat ressemble à la dictature des autres classes parce qu’elle est provoquée, comme toute espèce de dictature, par la nécessité de réprimer violemment la résistance de la classe qui perd la domination politique. Le point fondamental qui sépare la dictature du prolétariat de celle des autres classes (…) consiste en ce que la dictature des éléments féodaux et de la bourgeoisie était l’écrasement violent de la résistance de l’énorme majorité de la population, de la classe laborieuse, tandis que la dictature du prolétariat est l’écrasement, par la force, de la résistance des exploiteurs, c’est-à-dire d’une infime minorité de la population : les propriétaires fonciers et les capitalistes » [28].

La conséquence politique de la dictature du prolétariat, selon Lénine, est un changement des institutions démocratiques qui permet que la grande majorité des opprimés et des exploités en « profitent » réellement. C’est en ce sens que la démocratie soviétique comme forme politique de la dictature du prolétariat n’est pas compatible avec les formes politiques parlementaires de la démocratie bourgeoise. Cela impliquait bien entendu une lutte d’autant plus décidée contre la réaction bourgeoise, qui ne pouvait que se déchaîner en perdant son pouvoir et sa propriété. Une réaction dont la base, en plus du « capital international », résidait notamment « dans la force de l’habitude » et de « la petite production » qui « engendrent le capitalisme et la bourgeoisie constamment, chaque jour, à chaque heure, d’une manière spontanée et dans de vastes proportions » [29].

Dans sa polémique contre Kautsky Trotsky soulignait que « celui qui désire la fin ne peut rejeter les moyens ». En ce sens, l’abandon de la dictature du prolétariat signifie l’abandon de la stratégie révolutionnaire et remplacement du point de vue de la classe ouvrière par « l’illusion démocratique » propre aux classes moyennes « progressistes », qui ont l’espoir, à travers le suffrage universel et les institutions de la démocratie parlementaire, d’amortir les contradictions sociales et, en dernière instance, l’affrontement inévitable entre révolution et contre-révolution.

La LCR présuppose que, par le seul fait d’être un instrument de domination de classe, la dictature du prolétariat renferme un autoritarisme de fond. Celui-ci ne serait pas circonscrit aux tâches liées à la répression des anciennes classes possédantes ou à la période d’exception visant à affronter l’offensive de la contre-révolution, comme cela fut le cas en Russie pendant la guerre civile. La Ligue se fait en grande mesure l’écho d’un bilan de l’Union soviétique qui est devenu une doxa et considère inévitable la bureaucratisation de l’URSS – et en dernière instance de toute révolution ouvrière – du fait du processus de nationalisation et de concentration des principaux moyens de production, que la LCR qualifie d’ailleurs « despotisme d’usine ».

Dans son analyse la Ligue s’attache à souligner les caractéristiques des pays avancés afin de justifier une plus grande continuité des formes de démocratie bourgeoise comme « antidote » contre la bureaucratisation et contre le soi-disant « corporatisme » de la démocratie soviétique et non pour penser les avantages énormes qu’impliquerait la prise du pouvoir par le prolétariat dans un ou plusieurs de ces pays avancés. Comme Trotsky le mettait en exergue, l’amplitude et la profondeur de la démocratie ouvrière sont historiquement déterminées : « plus est grand le nombre des états qui s’engagent dans la révolution socialiste, plus les formes de dictature seront libres et souples, et plus la démocratie ouvrière sera large et profonde. » [30]

L’appel pour le Nouveau parti anticapitaliste : à « nouvelle époque », « nouveau parti » ?

Le débat sur la construction d’un parti plus large que l’actuelle LCR a commencé à sortir des cercles internes de la Ligue au moment des élections présidentielles de mai 2007. Un important secteur de la direction de la LCR s’est alors prononcé en faveur de la présentation d’une candidature unique au sein du camp « anti-libéral », regroupant le large éventail des partisans de gauche du « non » au référendum sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE) de mai 2005. Ce « front hétérogène » du « non » regroupait en son sein la « gauche anti-libérale », soit une aile du PS (minoritaire au sein de la direction même si la base électorale du PS a largement voté contre le TCE), le PCF, le mouvement altermondialiste français, à commencer par une de ses figures de proue, José Bové, ainsi que l’extrême gauche. Bien que mis en minorité sur cette proposition de candidature unique, le secteur de la direction de la LCR qui se faisait le chantre d’une telle candidature s’est par la suite refusé à faire campagne pour Olivier Besancenot. Finalement, les résultats du premier tour de la présidentielle de 2007, favorables à la Ligue et laissant apparaître le niveau de décomposition des principales formations « antilibérales », à commencer par le PCF, ont fait reculé l’influence de ce projet ouvertement liquidateur.

Le début de la résistance sociale menée par cheminots et par les étudiants face aux mesures antipopulaires du gouvernement Sarkozy-Fillon a à nouveau posé la question de la nécessité que ces luttes et mouvements sociaux trouvent une expression politique au sein d’une opposition organisée face au gouvernement. En vue de son prochain Congrès, la direction de la LCR a ainsi lancé publiquement cette discussion en la centrant autour de la nécessité de construire un « Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), Écologiste, Féministe, Internationaliste ». Ce virage politique vers des positions plus nuancées a suscité un certain enthousiasme au sein des secteurs les plus à gauche de la Ligue, qui ont pu le percevoir comme une manière d’élargir la base la Ligue en maintenant son ancrage à l’extrême gauche. Il s’agit cependant d’un appel suffisamment ambigu et indéterminé pour laisser la porte ouverte à des fusions avec des secteurs provenant de la mouvance antilibérale, au sein d’un parti sans profil révolutionnaire ni contenu de classe.

La discussion au sujet du caractère du NPA a d’importantes conséquences programmatiques. Francis Sitel, un des membres de la direction de la LCR les plus ouverts à une convergence au sein du NPA avec des secteurs réformistes, affirme dans sa contribution au débat stratégique sur le nouveau parti que « réformes et révolution ne se présentent pas comme les branches d’une alternative, mais comme un couple qu’il s’agit de mettre en mouvement : quelles que soient le formules utilisées - “la révolution pour défendre les réformes hier imposées”, ou l’exigence de “réformes pour débloquer la dynamique révolutionnaire”..., l’idée apparaît largement partagée. On peut considérer qu’un “parti large” se définira comme un parti de réformes, et qu’en son sein la révolution sera défendue comme une option, sans doute d’abord minoritaire. Quant au gouvernement auquel il serait susceptible de participer, il s’affirmerait sans doute “réformiste”, au sens qu’il serait déterminé à engager de telles réformes, conscient qu’elles conduiront à un affrontement avec le capitalisme » [31]. Cette adaptation à un programme minimal, néo-réformiste, devrait avoir pour objectif de répondre à une période historique au sein de laquelle la révolution serait « au-delà de notre horizon visuel ».

Daniel Bensaïd répond à Sitel en se contentant de souligner que si ce dernier peut avoir raison, il ne faudrait en rien « inventer entre nous le programme minimum (de réformes) pour un “parti large” hypothétique ». Afin de dépasser l’écueil de la dissociation entre programme minimum et programme maximum,il suffirait selon Bensaïd de poser le fait que « l’antilibéralisme conséquent » ne pourrait que déboucher sur l’anticapitalisme. Il n’en est pourtant rien,dans la mesure où il existe des secteurs bourgeois et petit-bourgeois qui se considèrent « antilibéraux » et dont les programmes les opposent totalement aux intérêts de classe du monde du travail [32]. La définition de « l’anticapitalisme » de Bensaïd quant à elle est extrêmement vague, dans la mesure où elle englobe les marxistes révolutionnaires avec les néo-autonomistes, les anarchistes, les courants critiques du capitalisme, c’est-à-dire des courants opposés en dernière instance à la lutte pour l’objectif « maximum » : la prise du pouvoir politique par les travailleurs et la construction du socialisme.

Bien que Bensaïd soutienne qu’il y a « en fait, entre les protagonistes de la controverse de Critique communiste, convergence sur le corpus programmatique inspiré de La catastrophe imminente ou du Programme de transition », on ne pourrait qu’objecter que l’affirmation selon laquelle on arrive à la révolution en luttant conséquemment pour des réformes n’est en rien la méthode que propose Trotsky dans le programme de fondation de la IVème Internationale, afin de dépasser le clivage entre conditions objectives existant et arriération de la conscience des masses. Ce programme entend à l’inverse constituer par le biais d’un système de revendications transitoires (combinant revendications minimales et démocratiques à des revendications transitoires allant vers le socialisme) un pont entre les revendications actuelles et le programme socialiste de la révolution.

Pour Bensaïd, un exemple concret de politique correcte de construction d’un « parti large » serait l’expérience de la section brésilienne du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SU) ou encore l’exemple italien ou portugais. Dans le cas du Brésil, « nous avons participé à la formation du PT (pour le construire et non dans une optique tactique entriste) en continuant à y défendre nos positions » [33]. C’est cependant la politique soutenue par DS visant à développer le PT comme un parti réformiste pendant des années qui a mené logiquement dans un premier temps à la participation aux majorités municipales puis à l’entrée directe au gouvernement « néo-libéral » bourgeois de Lula.

Le virage stratégique consistant à abandonner la dictature du prolétariat, les discussions théoriques ouvertes sur la continuité des institutions de la démocratie bourgeoise dans une société de transition, les politiques opportunistes des organisations membre du SU à l’image de DS dans un premier temps et du PSOL aujourd’hui démontrent que, même si dans un futur proche la LCR ne fusionnera pas en une même organisation avec des courants réformistes, en remisant toute référence au trotskysme, la Ligue prépare le terrain à la liquidation de la base même de l’organisation révolutionnaire. La bataille au sujet du caractère révolutionnaire du « nouveau parti » ne pourra donc se limiter à des questions tactiques ou formelles mais devra affronter en profondeur toutes les discussions théoriques et stratégiques que nous n’avons fait ici qu’aborder.

RESSPECT et la tactique du front unique. Une polémique contre le SWP anglais

La direction du SWP britannique s’est fondée sur le rôle joué par la coalition anti-guerre Stop the War, un front unique d’organisations ayant été à l’origine des puissantes mobilisations contre la guerre en Irak en 2003, pour justifier la fondation de RESPECT. Il s’agissait d’une bloc électoral impulsé par le SWP au sein duquel on pouvait trouver des hommes politiques marginalisés de la vie politique institutionnelle, tels que l’ex député du Labour George Galloway, ainsi que des dirigeants laïcs ou religieux de la communauté musulmane de Grande-Bretagne, commerçants ou figures religieuses pour la plupart, et même quelques bourgeois.

L’objectif que se fixait le SWP était celui de « créer une alternative électorale crédible au Parti travailliste (Labour) » autour « d’une plateforme minimale qui était pourtant une plateforme maximale pour nos alliés – ainsi que pour des milliers de personnes qui avaient milité activement dans le mouvement anti-guerre -, une plateforme cependant parfaitement compatible avec nos objectifs à long terme » [34]. C’est avec cette même logique, consistant à vouloir occuper un espace électoral qui n’est pas tant l’expression de la radicalisation politique que celui d’un mécontentement du monde du travail à l’égard des partis sociaux-libéraux, que la direction est intervenue dans le débat au sein de la LCR française à l’approche des présidentielles de 2007 en soutenant la nécessité d’une candidature antilibérale unique.

Le SWP affirme pour justifier ces choix qu’il ne fait que suivre « la méthode du front unique telle qu’elle fut développée par Lénine et Trotsky au début des années 1920 puis réélaborée par Trotsky face la montée du nazisme au début des années 1930 ». Dans des textes antérieurs, un des dirigeants du SWP, John Rees, entendait déjà justifier cette orientation populiste en se fondant sur la leçon des soviets d’ouvriers, paysans et soldats dans la Russie révolutionnaire en affirmant qu’il s’agissait-là « d’une alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, une classe petite- bourgeoise par excellence » [35]. Cette analogie ne résiste pas au moindre questionnement. Les soviets étaient des organes d’autodétermination des massas, qui sous la direction des bolcheviques, ont pris le pouvoir. Il s’agissait en ce sens de la plus haute expression du front unique, organisant l’ensemble des opprimés sous la direction du prolétariat. L’alliance de classes qui rendit possible la révolution russe n’impliquait en aucune façon un programme commun des bolcheviques avec les partis paysans, bien que le parti bolchevique ait inclus dans son programme la problématique agraire afin de tenter de gagner les paysans pauvres et sans terre et le prolétariat rural au programme de la révolution.

Revenons un instant sur les positions classiques de l’analyse du front unique ouvrier afin de démontrer que la politique d’alliance proposée par le SWP est très loin des tactiques révolutionnaires de Lénine et de Trotsky. L’Internationale Communiste a discuté et a voté au début des années 1920 la tactique du front unique ouvrier pour les pays capitalistes avancés, une orientation qui avait pour objectif d’accélérer l’expérience du mouvement ouvrier avec la social-démocratie. Cette orientation était principalement conçue pour les partis communistes occidentaux dont la force atteignait « un tiers de l’avant-garde organisée, un quart, ou même la moitié ou plus », des PC qui avaient donc une influence considérable au sein de l’avant-garde ouvrière, mais insuffisante pour en disputer la direction aux réformistes.

La tâche préparatoire de ces partis consistait donc à arracher la majorité du prolétariat à l’influence de la social-démocratie à travers des actions communes dans la lutte des classes. Le fondement de cette tactique était de conquérir la confiance des travailleurs à un moment où la révolution n’était pas à l’ordre du jours mais au cours duquel les luttes ouvrières pour les intérêts immédiats du monde du travail suivaient leur cours. Il s’agissait donc d’une tactique préparatoire en cela que, comme le notait Trotsky, cette lutte pour des intérêts immédiats est à « une époque émaillée de grandes crises impérialistes » toujours « le début d’une lutte révolutionnaire ».

Dans les années 1930 Trotsky a repris la tactique de front unique ouvrier entre le Parti communiste et la Social-démocratie pour discuter de la stratégie à même de vaincre le nazisme en Allemagne. Dans ces discussions, il remarquait que les opportunistes ne pouvaient pas distinguer entre un front parlementaire et un accord élémentaire pour intervenir dans une grève ou pour se défendre des groupes fascistes. Cette unité d’action dans la lutte contre le fascisme était comparable pour Trotsky à la politique des bolcheviques face au coup d’Etat de Kornilov en 1917.

A aucun moment donc, dans les années 1920 comme dans les années 1930, le front unique n’avait le contenu qu’entend lui donner le SWP aujourd’hui. Il ne s’agissait pas non plus d’un programme minimum « acceptables pour [les] alliés [du SWP, c’est-à-dire des politiciens bourgeois] et les électeurs » afin d’obtenir quelques sièges au Parlement ou dans les Conseils municipaux. Il ne s’agissait pas non plus d’une adaptation à la « conscience moyenne » de la classe ouvrière ou encore la recherche d’une « unité » au sein de l’opposition du gouvernement en place, autant d’objectifs qui aujourd’hui sous-tendent l’orientation d’alliances électorales comme RESPECT en Grande-Bretagne ou l’alliance PSOL-PSTU au Brésil. [36]

Trotsky soulignait à ce propos que, pour un marxiste, un problème ne se résout pas en rédigeant des textes citant avec profusion les classiques mais en adoptant une méthode correcte. En revanche, continuait Trotsky, « en ayant pour cap des méthodes correctes on peut facilement trouver les citations appropriées ». C’est en ce sens que nous nous en référerons à nouveau à Trotsky pour discuter de la conception tout à fait spéciale du « front unique » défendue par le SWP. « Les accords électoraux, les compromis parlementaires entre le parti révolutionnaire et la social- démocratie sont utiles en règle générale à la social-démocratie. Les accords pratiques pour l’action de masse pour mener les objectifs de la lutte sont toujours utiles pour le parti révolutionnaire » [37]. Cette « règle générale » est applicable presque sans variation à RESPECT. Le SWP a commis presque à la lettre les erreurs politiques faisant le jeu des arrivistes et des opportunistes et qui affaiblissent la politique révolutionnaire. Le SWP a non seulement réalisé une alliance électorale avec des personnages qui ne dirigent ou mobilisent aucun ouvrier. Il a de plus était guidé par une politique systématique de concessions programmatiques élémentaires, même sur le plan démocratique comme sur la question du droit à l’IVG par exemple, ou sur la question du salaire ouvrier moyen pour les parlementaires de RESPECT. Dans ces deux cas, Galloway était totalement contre [38]. Le caractère populiste de la coalition et la tentative du SWP de maintenir son hégémonie sur les secteurs qui n’ont absolument rien à voir avec le socialisme, et encore moins avec le mouvement ouvrier, a finalement conduit à une crise très importante qui a secoué la coalition en août 2007 et a conduit par la suite à son éclatement pur et simple.

Dans son bilan de la crise, la direction du SWP regrette qu’après les premiers succès électoraux de la coalition RESPECT, celle-ci se soit transformée en un tremplin pour des arrivistes qui cherchaient une plateforme leur permettant d’arriver au Parlement. Galloway lui-même manœuvra dès le début en se parachutant dans une circonscription des plus favorables alors que les dirigeants musulmans faisaient une campagne de proximité au sein de leur communauté d’origine à travers des promesses clientélistes [39].

RESPECT n’a fait que bénéficier à quelques politiciens petits-bourgeois comme Galloway mais n’a aidé en aucune manière la classe ouvrière britannique à avancer sur la voie de son indépendance politique par rapport au Parti travailliste. Loin d’admettre les erreurs de cette politique cependant, le SWP prétend expliquer la crise de RESPECT en l’ancrant dans la crise plus générale de « l’extrême gauche européenne », se basant par exemple sur le recul du mouvement altermondialiste, sans tirer un bilan sérieux de l’expérience de RESPECT mais en insistant au contraire sur l’intérêt cette orientation pour la Grande-Bretagne [40]

La crise des autres partis « antilibéraux »

On peut songer, en plus de RESPECT, à nombre d’autres tentatives consistant à fonder sur une base électorale des partis ou des fronts larges. Quelques exemples sont suffisants pour démontrer que les programmes « anti-néoliberaux » de ces nouvelles formations politiques sont totalement étrangers aux intérêts de la classe ouvrière. Dans le cas du Brésil, le PSOL s’est présenté aux dernières élections dans le cadre d’un « Front de Gauche » avec le Parti Socialiste des Travailleurs Unifié (PSTU) [41] sur la base d’un programme fondé sur une série de mesures capitalistes de type « développementistes » ou mettant l’accent sur les secteurs « productifs » de la bourgeoisie nationale brésilienne n’étant pas liée au secteur de la finance. Un des projets phare du programme consistait ainsi à exiger une baisse qui des taux d’intérêt. La candidate du Front, Heloisa Helena, membre du Secrétariat Unifié, ne s’est pas seulement prononcée au cours de la campagne contre le droit à l’avortement mais a activement participé par la suite à une campagne anti-IVG au Brésil.

Une fois élus, les députés du Front de Gauche ont logiquement suivi cette politique en votant en faveur de la réforme du marché du travail visant à favoriser, par des mesures d’exonération fiscale, de flexibilisation et de précarisation, les PME brésiliennes. A la suite de cet épisode un certain nombre d’intellectuels de renom ont d’ailleurs publiquement rompu avec Helena.

Au Portugal le Bloco de Esquerda, un parti large fondé en 1999 par d’anciens maoïstes portugais, l’ancien PRS (section du Secrétariat Unifié) et le courant Ruptura/FER de la LIT-QI, a signé au mois d’août 2007 un accord de « gouvernabilité » avec le Parti Socialiste Portugais, alors au gouvernement et à l’origine d’une offensive anti-ouvrière en règle, dans le cadre du Conseil municipal de Lisbonne. Le Bloco qui compte un groupe parlementaire de huit députés a continué à participer au Parti de la Gauche Européenne, un courant dirigé par Refondation Communiste y compris après la décision du PRC de participer au gouvernement Prodi en avril 2006 et après que le PRC ait appuyé le maintien des troupes italiennes en Afghanistan.

La crise du Scottish Party (SSP) mérite que l’on s’y attarde également. Il s’agit-là d’un parti qui pendant des années avait été considéré, avec Refondation Communiste, comme un des modèles de « parti large », et avait obtenu de nombreux succès électoraux faisant entrer au parlement un certain nombre de ses dirigeants. Il a fini par exploser à la suite de la publication par la presse bourgeoise d’articles à scandale sur la vie privée d’un de ses principaux dirigeants, Tomy Sheridan. La crise du SSP, réduit aujourd’hui à deux petits groupes rivaux, n’a pas été le résultat d’importantes différences politiques ou de principes, mettant en évidence un niveau de déliquescence n’ayant bien entendu rien à voir avec la politique révolutionnaire.

On pourrait continuer cette liste d’exemples à l’envi. Même si les situations changent d’un pays à l’autre la conclusion inévitable de tous ces processus est que la politique des organisations qui se revendiquent trotskystes lorsqu’elles participent à des phénomènes surgissant objectivement, comme cela a été le cas par exemple de Refondation Communiste au début des années 1990, a toujours été de se subordonner aux directions réformistes sans lutter conséquemment pour une stratégie et un programme ouvrier révolutionnaire permettant de construire des tendances de gauche au sein de ces formations. Lorsqu’ils ont été les principaux promoteurs des « partis larges », comme dans le cas de RESPECT ces mêmes forces d’extrême gauche ont à l’inverse rabaissé leur programme à la hauteur de leurs alliés circonstanciels, y compris en agitant des revendications d’autres classes, essentiellement de la bourgeoisie « non monopoliste » ou encore de la petite-bourgeoisie.

Ceci ne signifie pas que les révolutionnaires ne doivent pas participer ou avoir de tactiques pour se lier aux nouveaux phénomènes politiques surgissant au sein du mouvement ouvrier même lorsqu’ils sont réformistes. C’est bien au contraire leur obligation lorsque ces organisations se mettent en place que de lutter pour gagner les meilleurs éléments pour une stratégie marxiste révolutionnaire. C’est ce qu’illustrait Trotsky aux cadres du SWP des États-Unis au sujet de la tactique de parti ouvrier en 1938 en abordant la dialectique existant entre le « parti large » et le parti révolutionnaire. « La nécessité d’un parti politique pour les ouvriers est générée par les conditions objectives mais notre parti est trop petit, avec trop peu d’autorité pour organiser les ouvriers en son sein. Voila pourquoi nous devons dire aux ouvriers, aux masses, ‘vous devez avoir un parti’’. Trotsky poursuit en soulignant que le mot d’ordre de partit ouvrier indépendant « prépare et aide les ouvriers à avancer et prépare le chemin pour notre parti » [42]

Les « partis large » et les « fronts antilibéraux » ayant existé jusqu’à présent n’ont été qu’un énorme gaspillage de force militante qui ont servi en dernier ressort aux arrivistes voulant gagner un siège au Parlement et qui, après avoir obtenu leur fauteuil de député, ont déserté vers des partis bourgeois ou bien ont voté des lois anti-ouvrières à l’image des députés du PSOL ou de Galloway pour RESPECT.

Partis et stratégies

Dans un vieil article paru en 1969 ayant pour cadre une discussion avec Jean-Paul Sartre l’intellectuelle communiste italienne Rossana Rossanda recourrait à une vérité historique d’une grande simplicité : « la théorie de l’organisation, affirmait-elle, est étroitement liée à l’hypothèse pour la révolution que l’organisation défend et ne peut en aucun cas s’en dissocier » [43].

Ce rapport existant entre la construction d’une organisation, ses tactiques et ses objectifs stratégiques (son « hypothèse stratégique pour la révolution ») a marqué toute l’histoire du Parti Bolchevique dont les tâches et la politique « en temps de paix » ou même pendant les périodes de réaction se fondaient sur la perspective de la révolution ouvrière qu’il se préparait à diriger [44] Comme l’expliquait Lénine le bolchevisme n’a joué un rôle dirigeant en octobre 1917 et pendant la guerre civile que pour deux raisons fondamentales. Tout d’abord en raison de ses solides bases théoriques, mais également grâce à sa pratique au cours de ses quinze années d’existence dans les conditions spéciales de la Russie du début du siècle entre 1903 et 1917 , qui lui ont permis de passer à travers différentes formes de mouvement « légal ou illégal, pacifique ou orageux, clandestin ou avéré, cercles ou mouvement de masse, parlementaire ou terroriste ». [45].

Cette particularité a permis qu’en une brève période de temps se concentre une grande variété de méthodes de lutte de classes et que la classe ouvrière comme conséquence de l’arriération du pays et du joug tsariste écrasant, mûrissait particulièrement vite et s’assimilait avec avidité et utilement le « dernier mot » de l’expérience politique de l’Amérique et de l’Europe »

Bien que dans des conditions historiques très différentes à celles ayant
permis le développement du bolchevisme en Russie, c’est en ce sens que
« les manœuvres tactiques » que Trotsky recommandait aux groupes qui constituaient l’Opposition de gauche dans un premier temps puis la IVème Internationale, à l’image de l’entrisme ou de la tactique de parti de travailleurs, maintenaient un rapport dialectique étroit avec l’objectif de construction de partis ouvriers marxistes à des périodes où les rythmes s’accéléraient, la lutte de classes se faisait de plus en plus aiguë, mais le rapport entre le prolétariat et le marxisme révolutionnaire restait semé d’embûches en raison de l’existence des partis sociaux-démocrates réformistes ou des partis communistes stalinisés.

Il est bien évidemment nécessaire et prioritaire aujourd’hui que les révolutionnaires continuent à penser à des politiques transitionnelles et des tactiques sur le terrain de la construction du parti permettant de jeter un pont vers les secteurs les plus avancés de l’avant-garde prolétaire. Ne pas suivre ce chemin signifierait courir le risque de la dégénérescence sectaire dans le cadre d’une période historique au cours de laquelle la perspective de la révolution ouvrière a disparue de l’horizon depuis trois décennies et où la chute du stalinisme et la restauration capitaliste ont alimenté la propagande bourgeoise selon laquelle il n’existe aucune alternative au capitalisme.

Or, la plupart des courants d’extrême gauche manifestent un certain scepticisme historique à l’égard de la possibilité de reconstruire le marxisme révolutionnaire au sein de la classe ouvrière et qu’en définitive les masses puissent en venir à se soulever violemment contre le pouvoir bourgeois et remette à l’ordre du jour la perspective de la révolution sociale. En ce sens, les projets de « partis larges » et de « front antilibéraux » vont complètement à rebours d’une tactique politique qui, comme l’exprimait Trotsky avec la consigne de « parti des travailleurs », aident les ouvriers à avancer vers l’indépendance politique vis-à-vis de la bourgeoisie et à intervenir dans la lutte politique, et ouvrent ainsi le chemin du renforcement d’un parti marxiste révolutionnaire au sein de la classe ouvrière.

Sans délimitation de classe précise, sans un programme transitoire tendant vers un horizon révolutionnaire, sans une politique d’intervention audacieuse au sein de la lutte de classes actuelle, en prenant chaque lutte comme une véritable « école de guerre » pour lutter pour l’expulsion des bureaucraties syndicales, pour exercer la démocratie ouvrière, et en dernier ressort, encourager les tendances progressives qui vise à dépasser le corporatisme et à transformer la classe ouvrière en classe hégémonique, aucun front ou parti « antilibéral » ou « anticapitaliste » ne permettra à la classe ouvrière d’avancer dans une perspective révolutionnaire. Tout au contraire, ces projets « travailleront » pour la stratégie de classes ou secteurs de classes ennemis de la révolution.

En plus de la marginalité ou de l’influence quasi nulle des courants de la gauche trotskyste et de la nécessité de surmonter le « sectarisme », un des arguments les plus en vogue pour justifier les constructions « antilibérales » a trait à la nécessité de rénover le marxisme en fonction des changements survenu lors des dernières décennies. Cette « rénovation » apparente ressemble cependant plutôt à l’adoption des nouveaux « dogmes » antimarxistes de notre époque qui nous rappellent la révision théorique commencée par Bernstein à ses débuts. L’adaptation à la réalité telle qu’elle existe est aussi vielle que la politique et une fois de plus, sur ce terrain, la nouveauté n’est que la répétition sur le mode d’un mauvais script des erreurs du passé.

Dans un texte de 1909 dirigé essentiellement contre les mencheviques, Trotsky décrivait quelques-unes des caractéristiques de l’opportunisme qu’il vaut la peine de rappeler car elles restent d’une brûlante actualité. « Dans les périodes où les forces sociales alliées et adversaires, par leur antagonisme comme par leurs interactions, amènent en politique un calme plat, quand le travail moléculaire du développement économique, renforçant encore les contradictions, au lieu de rompre l’équilibre politique, semble plutôt l’affermir provisoirement et lui assurer une sorte de pérennité, l’opportunisme, dévoré d’impatience, cherche autour de lui de “nouvelles” voies, de “nouveaux” moyens d’action. Il s’épuise en plaintes sur l’insuffisance et l’incertitude de ses propres forces et il recherche des “alliés”. (…) Lorsque ces alliés de l’opposition ne peuvent le servir, il court au gouvernement : il persuade, il supplie, il menace... Enfin, il trouve lui-même une place dans le gouvernement (ministérialisme), mais seulement pour démontrer que, si la théorie ne peut devancer l’histoire, la méthode institutionnelle ne réussit pas mieux » [46].

Historiquement la rupture entre les intérêts immédiats et les objectifs historiques, entre la tactique et la stratégie, entre le « programme minimum » et le « programme maximum » a créé l’opportunisme politique et le révisionnisme théorique dans les courants du mouvement ouvrier. En mettant de côté les différences manifestes existant entre les différents courants d’extrême gauche, on peut reconnaître dans la LCR, le PSOL ou la DS au Brésil ou encore le SWP certaines caractéristiques de ce vieil opportunisme.

Comment ne pas voir que croire que le « socialisme du XXIème siècle » serait un « socialisme patronal » avec Chávez et la bourgeoisie du Venezuela, n’est rien d’autre qu’une contradiction absolue ? Comment expliquer le « municipalisme » ou bien le « ministérialisme » de la LCR et du Secrétariat Unifié sans mentionner leur abandon d’une stratégie révolutionnaire et leur adaptation à la « normalité » de la démocratie bourgeoise ? Comment interpréter tout cela, si ce n’est en s’en référant à l’opportunisme, les accords de gouvernabilité du Bloco d’Esquerda avec la social-démocratie au Portugal ? Autrement dit, comment appeler une stratégie consistant à construire pendant toute une étape historique, des mouvements ou des partis larges mêlant révolutionnaires et réformistes ?

L’histoire du XX° siècle a démontré à travers la Révolution russe de 1917 mais fondamentalement « en creux », négativement, qu’il est impossible construire un parti ouvrier marxiste dans le feu d’une période révolutionnaire et qu’au contraire, pour jouer un rôle décisif, ce parti doit avoir développé dans la période antérieure une insertion qualitative dans la classe ouvrière et une expérience pratique dans la lutte de classes qui ait mis à l’épreuve sa théorie, sa stratégie et sa capacité pour influencer les secteurs plus avancés du prolétariat.

Pour celles et ceux qui comme nous continuent à revendiquer la nécessité d’une révolution sociale qui en finisse avec le capitalisme, qui combattent pour la perspective de la dictature du prolétariat, pour le développement d’organes d’autodétermination de masses comme expression la plus élevée de l’intensification de la lutte de classes sur le chemin du pouvoir politique, pour « l’insurrection comme art », le pluripartisme soviétique et le caractère international de la révolution, nous nous devons de continuer à intervenir dans les débats stratégiques en cours afin de recréer le marxisme révolutionnaire.

Comme le soulignait déjà le Programme de Transition, « La IV° Internationale ne recherche ni n’invente aucune panacée. Elle se tient entièrement sur le terrain du marxisme, seule doctrine révolutionnaire qui permette de comprendre ce qui est de découvrir les causes des défaites et de préparer la victoire » [47]. Comme nous l’avons souligné, ce ne sont pas-là les objectifs des projets opportunistes des « partis larges » sans aucune délimitation stratégique ni délimitation de classe. La discussion contre ces orientations politiques ne doit pas non plus nous entraîner à l’auto-proclamation stérile propre aux groupuscules. Pour avancer vers la construction de véritables partis marxistes révolutionnaires il est nécessaire d’articuler tout un éventail de politiques transitoires qui permette d’accompagner et de favoriser les mouvements de la classe sur la voie de son indépendance politique.

Au Venezuela par exemple où les masses sont en train de réaliser une expérience avec le nationalisme bourgeois de Chávez, nos camarades de la JIR (Juventud de Izquierda Revolucionaria) proposent aux secteurs lutte de classe qui militent dans la C-CURA (Corriente Clasista, Unitaria, Revolucionaria y Autónoma) de l’UNT (Unión Nacional de Trabajadores) [48] et opposés à l’entrée dans le PSUV de Chavez d’organiser en commun la lutte pour un parti de travailleurs.

En Argentine le PTS fait un appel aux courants trotskystes qui n’ont pas adopté la politique de se dissoudre ou de s’allier avec les secteurs la gauche modérée et qui considèrent que les aspects fondamentaux de la stratégie révolutionnaire du bolchevisme conservent toute leur actualité (à l’image du Partido Obrero et des courants qui comme Izquierda Socialista et le MAS ont formé avec le PTS le Front de Gauche et des Travailleurs pour le Socialisme – FIT-S) à ouvrir un débat sur la construction d’un parti commun marxiste révolutionnaire, fonctionnant sur la base du centralisme démocratique, avec liberté de tendances, et intervenant en commun dans la lutte de classes afin de permettre, à partir de l’expérience et du débat, de surmonter l’atomisation actuelle des forces de celles et ceux qui comme nous revendiquent les drapeaux du marxisme révolutionnaire. Bien que minoritaires, les forces d’extrême gauche marxiste disposent d’une force militante non négligeable et exercent une influence certaine sur les secteurs les plus avancés de la classe ouvrière et du mouvement étudiant. Elles pourraient ainsi constituer un pôle politique capable de disputer aux courants de gauche la direction des secteurs ouvriers et populaires qui ne croient pas au double discours du kirchnérisme. Le PTS insiste également sur l’importance de mener en direction des secteurs syndicaux combatifs une campagne autour de la nécessité de mettre sur pied un grand parti des travailleurs qui serait un canal afin de regrouper l’avant-garde autour d’une politique lutte de classe qui permettrait d’accélérer l’expérience qu’ont commencé à faire d’amples secteurs ouvriers et populaires avec le kirchnérisme.

Bien que Cristina Kirchner aiit été élu avec la grande majorité des voix du monde du travail, il n’existe pas moins en Argentine une importante avant-garde qui a été à l’origine des principaux conflits sociaux ces dernières années. L’extrême gauche ouvrière et socialiste y est insérée, notamment au sein des syndicats du tertiaire (cheminots, enseignants, télécommunications, fonctionnaires, métro, hôpitaux, etc.) mais également au sein de secteurs de jeunes prolétaires qui sont en train de vivre leurs premières expériences de lutte à l’image de ceux du Casino de Buenos Aires. Dans l’industrie, il existe également un processus plus moléculaire d’élection de nouveaux délégués combatifs dans des usines à l’image de FATE, Mafissa, Fresenius, Pepsico, TVB, etc. et on assiste à des luttes très dures contre la précarité (on songera à la lutte des travailleurs du secteur pêche de Mar del Plata), contre les licenciements ou pour des augmentations de salaire. Les travailleurs qui ont incarné le meilleur de l’expérience de 2001 continuent également à résister comme dans le cas des ouvriers céramistes de Zanon à qui l’Etat continue à refuser l’expropriation définitive de l’usine qui se trouve sous gestion ouvrière depuis cinq ans. Il est probable que la politique officielle de « pacte social » du nouveau gouvernement favorise l’émergence de nouveaux secteurs qui n’accepteront pas les conditions imposées par les accords entre le patronat, la bureaucratie syndicale et le gouvernement.

Nous n’avons ici fait qu’énumérer quelques exemples des formes tactiques que peut adopter aujourd’hui la lutte pour la construction de partis révolutionnaires sans lesquels la classe ouvrière ne pourra pas prendre le pouvoir et reprendre au XXIº siècle le chemin pris il y a 90 ans par ceux qui en Russie sont montés à l’assaut du ciel.


[1Nous avons à plusieurs reprises discuté dans no publications des principales thèses défendues par les principaux représentants de la pensée postmarxiste à l’image de Ernesto Laclau et de leur influence au sein même de la gauche radicale ainsi que de la conception libérale de la politique chez Hannah Arendt. Voir notamment C. Cinatti, “La impostura posmarxista”, in Estrategia Internacional nº 20, Buenos Aires, septembre 2003 ainsi que C. Cinatti et E. Albamonte, “Trotsky y la democracia soviética. Más allá de la democracia liberal y el totalitarismo”, in Estrategia Internacional n° 21, septembre 2004 (traduction française, “Trotsky et la démocratie soviétique” publiée dans Stratégie Internationale n°4, automne 2004).

[2Cette formulation qui apparaissait dans le Manifeste Communiste laissait entendre que la lutte économique était insuffisante pour réaliser les objectifs historiques de la classe ouvrière –la construction d’une société communiste de producteurs libres associés au sein de laquelle disparaîtraient les classes sociales et l’Etat. En fonction de cet objectif, le prolétariat devait se constituer en classe émancipatrice de l’ensemble des opprimés, dépasser l’affrontement local contre les patrons dans les usines considérées isolément et s’élever à la lutte politique contre les rapports sociaux capitalistes, notamment l’Etat bourgeois. Fonder des partis ouvriers, c’est ce que le Congrès de La Haye de l’Association Internationale des Travailleurs posait clairement comme problème en septembre 1872, et ce notamment en lutte ouverte contre les courants internes anarchistes : « contre le pouvoir uni des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir en tant que classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct et opposé à tous les anciens partis politiques créés par les classes possédantes. Cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la Révolution sociale et de sa fin suprême : l’abolition des classes. La coalition des forces de la classe ouvrière, déjà obtenue par la lutte économique, doit ainsi lui servir de levier dans sa lutte contre le Pouvoir politique de ses exploiteurs. (…) La conquête du Pouvoir politique est devenue le grand devoir du prolétariat ». [L’article 7a cité ci-dessus, synthèse de la résolution adoptée en 1871 à la Conférence de Londres, fut inclus dans les Statuts par décision du Congrès de la Première Internationale tenu à La Haye en septembre 1872].

[3Cette expression se retrouve par exemple dans une lettre de Marx à Ferdinand Freiligrath de février 1860. Marx répond à Freiligrath au sujet d’un problème légal ayant trait à l’appartenance de ce dernier à la Ligue des Communistes. « Je te ferai observer qu’après que, écrit Marx, sur ma demande, la Ligue (des communistes) a été dissoute en novembre 1852, je n’ai appartenu et n’appartiens à aucune organisation secrète ou publique, autrement dit le parti, dans le sens tout à fait éphémère du terme, a cessé d’exister pour moi depuis huit ans ». « La Ligue, poursuit Marx, aussi bien que la Société des Sai sons de Paris et cent autres organisations n’ont été qu’un épisode dans l’histoire du parti qui naît spontanément du sol de la société moderne ». Cité dans D. Bensaïd, « Stratégie et politique de Marx à la III° Internationale », disponible sur www.europe- solidaire.org.

[4Pour une analyse plus détaillée de cette question, voir A. Díaz, “Nuevos argumentos para viejos reformismos. La lectura autonomista del legado de Lenin”, in Lucha de Clases nº 6, Buenos Aires, juin 2006.

[5Nous soulignons également que Trotsky donnera au final une lecture spécifique du concept de dictature du prolétariat fondée sur le pluripartisme soviétique comme norme programmatique dans les sociétés de transition, et cela notamment dans le Programme de transition, dépassant la vieille division entre programme minimum et programme maximum par le biais de la formulation d’un ensemble de revendications transitoires agissant comme autant de ponts entre la conscience à une époque précise et les intérêts historiques du prolétariat.

[6Comme le soulignait déjà Trotsky dans le Programme de Transition, cela n’a pas seulement des conséquences politiques et stratégiques mais amène également à réviser la théorie révolutionnaire. « Les défaites tragiques subies par le prolétariat mondial durant une longue série d’années ont poussé les organisations officielles à un conservatisme encore plus grand et ont conduit en même temps les « révolutionnaires » petits-bourgeois déçus à rechercher des « voies nouvelles ». Comme toujours, dans les époques de réaction et de déclin, apparaissent de toutes parts les magiciens et les charlatans. Ils veulent réviser toute la marche de la pensée révolutionnaire. Au lieu d’apprendre du passé, ils le « corrigent ». Les uns découvrent l’inconsistance du marxisme, les autres proclament la faillite du bolchevisme. Les uns font retomber sur la doctrine révolutionnaire la responsabilité des erreurs et des crimes de ceux qui l’ont trahie ; les autres maudissent la médecine, parce qu’elle n’assure pas une guérison immédiate et miraculeuse. Les plus audacieux promettent de découvrir une panacée et, en attendant, recommandent d’arrêter la lutte des classes”. L. Trotsky, Programme de Transition (1938), www. marxists. org/francais/trotsky/livres/trans/tran.htm

[7Antoine Artous souligne ainsi que la période actuelle est caractérise par la fin du cycle historique initié par octobre 1917, la période qui commença avec octobre 1917 correspondant à l’histoire selon Hobsbawn dans L’Âge des extrêmes : le court XXe siècle 1914-1991 (voir « The LCR and the left, some strategic questions », in Bulletin n°17, disponible sur istendency.net). La conséquence évidente de cette conception n’est rien d’autre que la reformulation du projet stratégique de la LCR comme cela est apparu au sein du débat stratégique de cette organisation au cours des dernières années.

[8L. Trotsky, « Bolchevisme ou stalinisme », 29/08/1937.

[9Ibid.

[10Voir D. Bensaïd, “Sur le retour de la question politico-stratégique”, in Critique Communiste nº 181.

[11Nous ne nous référerons pas ici à d’autres stratégies qui, à l’image des mouvements islamistes, peuvent être compris au sein des stratégies populistes ou de collaboration de classe, avec la spécificité bien entendu de l’élément religieux. A ce sujet voir C. Cinatti, “Islam político, antiimperialismo y marxismo”, in Herramienta nº35, Buenos Aires, 2007.

[12Pour une critique de la FT-QI des positions autonomistes et néo-autonomistes, voir notamment C. Castillo, “Una crítica marxista a Toni Negri y los autonomistas”, Estrategia Internacional N° 14, noviembre/diciembre 1999 ; C. Castillo, “¿Comunismo sin transición ?”, in Estrategia Internacional n° 17, Buenos Aires, automne (austral) 2001, J. Chingo, G. Dunga, “¿Imperio o imperialismo ? Una polémica con El largo siglo XX de Giovanni Arrighi e Imperio de Toni Negri y Michael Hardt”, in Estrategia Internacional n° 17 (id.), ou encore C. Castillo, E. Albamonte, “Discutiendo desde Trotsky con las ideas dominantes de nuestra época”, Estrategia Internacional n° 21, Buenos Aires, septembre 2004.

[13Pour une critique de la conception de la révolution permanente chez Nahuel Moreno, voir M. Romano, “Polémica con la LIT y el legado teórico de Nahuel Moreno”, Estrategia Internacional n°3, Buenos Aires, décembre 1993-janvier 1994.

[14Pour un bilan critique de la stratégie du PRT-ERP, voir C. Castillo, “Elementos para un “cuarto relato” sobre el proceso revolucionario de los ’70 y la dictadura militar”, in Lucha de Clases N° 4, Buenos Aires, novembre 2004. Pour une vision d’ensemble des années de conflictualité ouvrière dans la décennie 1970 en Argentine et un bilan plus fourni des stratégie de l’extrême gauche argentine de l’époque, voir R. Werner et F. Aguirre, Insurgencia obrera en la Argentina 1969-1975.

[15Au cours des dernières années, de toutes les tendances qui s’affrontent au sein de la Ligue, c’est le courant co-dirigé par Christian Picquet et Francis Sitel qui défend le plus ouvertement la dissolution de la LCR dans un front antilibéral à programme minimum le plus large possible.

[16Voir C. Cinatti et E. Albamonte, « Más allá de la democracia liberal y el totalitarismo », in Estrategia Internacional n°21, Buenos Aires, septembre 2004 (“Au-delà de la démocratie libérale et du totalitarisme”, art. cit.)

[17Voir A. Artous, “Orphelins d’une stratégie révolutionnaire ?”, Critique Communiste nº 179, mars 2006.

[18Nous avons déjà discuté de cette question dans C. Cinatti “La actualidad del análisis de Trotsky frente a las nuevas (y viejas) controversias sobre la transición al socialismo”, in Estrategia Internacional n°22, Buenos Aires, novembre 2005.

[19Dans une lettre adressée au révolutionnaire italien Pietro Tresso ainsi qu’à d’autres camarades, Trotsky leur rappelle que la position de Hilferding n’était pas si éloignée de celle défendue par Kamenev et Zinoviev à la veille de la révolution d’octobre 1917. En se prononçant « contre l’insurrection, ils défendaient l’idée d’attendre la réunion de l’Assemblée constituante pour créer « un Etat combiné » par la fusion entre l’Assemblée constituante et les soviets d’ouvriers et de paysans ». Trotsky conclut en soulignant que les bolcheviques soutenait une ligne politique claire par rapport à l’Assemblée Constituante mais qu’il existait une distinction fondamentale : « Dans un cas (avec Lénine) il s’agissait de la formation d’un Etat prolétarien. Dans l’autre (avec Zinoviev, Kamenev, Hilferding) il s’agissait d’une combinaison constitutionnelle de deux États de classes ennemies avec l’intention d’éviter une insurrection prolétarienne qui aurait pris le pouvoir ». Voir L. Trotsky, “Problèmes de la révolution italienne”, 14/05/1930, https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1930/05/300514a.htm

[20K. Kautsky, « La nouvelle tactique », article publié en espagnol dans Debate sobre la huelga de masas, Pasado y Presente, México, 1976, p.120-121

[21V. Lénine, Marxisme et révisionnisme, 1908, www.marxists.org/francais/lenin/ works/1908/04/ vil19080403.htm

[22Ibid..

[23W. Benjamin, “Sur le concept d’Histoire (1940)”, in Œuvres III, Gallimard, Paris, 2000.

[24D. Bensaïd, art. cit.

[25L. Trotsky, « Report on the Fourth Congress of the IC », in First five years of the CommunistInternational, Vol. II, New York, Pathfinder, p. 324-326.

[26Bensaïd souligne ainsi dans « Le retour de la question politico-stratégique » que les dirigeants du SU et de la LCR avaient exprimé oralement leurs réserves quant à la participation de Rossetto au gouvernement Lula, mais qu’ils avaient préféré ne pas en faire une question de principes en optant pour accompagner l’expérience plus qu’administrer des leçons de l’extérieur.

[27Marx, « Lettre à J. Weydemeyer », 05/03/1852.

[28V.I. Lénine, « Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne, Premier Congrès de l’IC », (mars 1919).

[29V.I. Lénine, Le gauchisme, maladie infantile du communisme, 1920, www.marxists.org/ francais/lenin/works/1920/04/gauchisme.htm

[30L. Trotsky, « 90 ans de Manifeste Communiste », 30/10/1937, https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1937/10/371030.html

[31F. Sitel, « Stratégie révolutionnaire : résurgences et cours nouveaux », in Critique Communiste n°179, p.140.

[32D. Bensaïd, « Sur le retour de la question politico stratégique », in Critique Communiste n°179.

[33Ibid.

[34« The Socialist Workers Party and RESPECT », déclaration du CC, 03/11/07.

[35J. Rees, « Socialism in the 21st century », in International Socialism n°100, p.30. La confusion est encore plus grande si l’on s’en réfère au débat ouvert à la suite de la crise de RESPECT. Le groupe IST de Nouvelle Zélande, aligné sur les positions de G. Galloway et celle du groupe du SU en Grande-Bretagne, affirment considérer RESPECT ainsi que « d’autres « formations larges » de gauche comme Die Linke en Allemagne, le Bloco d’Esquerda au Portugal, le PSUV au Venezuela et le RAM de Nouvelle Zélande comme « des formations transitionnelles dans le sens que lui donnait Trotsky (sic.) », le « programme et l’organisation devant ‘répondre à la conscience moyenne’- afin de forger une unité dialectique entre le principe révolutionnaire et la conscience réformiste des masses ». Voir D. Lawless, « Open letter from Socialist Worker, New Zeland, A letter to all members of the SWP (Britain) » in International Viewpoint n°393, octobre 2007, p.26-27.

[36Pour ce qui est de la tactique du « front unique anti-impérialiste » discutée au cours de ce même Congrès, nous considérons, comme nous l’avons déjà affirmé dans d’autres articles, qu’elle est étroitement liée à une théorie de la révolution anticoloniale antérieure au développement et à la défaite de la Révolution Chinoise. C’est en ce sens que nous soutenons qu’elle fut dépassée par la systématisation de la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Pour preuve, Trotsky n’a par la suite plus jamais eu recours à la tactique de front unique anti-impérialiste : le résultat d’une tactique de ce type remplacerait la stratégie de ouvrière par la collaboration de classes avec la bourgeoisie nationale, en défendant dans les faits une stratégie populiste pour les pays capitalistes de la périphérie. Quelques courants qui se réclament trotskistes, comme le Parti Ouvrier d’Argentine d’Altamira, reprennent cependant cette tactique pour justifier, par exemple, leur soutien électoral à Evo Morales en Bolivie. Pour une polémique sur ce thème voir J. Dal Maso, « Ilusión gradualista », in Lucha de Clases n° 7, Buenos Aires, juin 2007.

[37L. Trotsky, « For a workers’ united front against fascism », 1931, reproduit dans Bulletin of the Opposition n°27, mars 1932.

[38Galloway a ainsi appelé à affronter les « trotskystes » et a dénoncé les soi-disant manœuvres bureau cratiques du SWP. Avec lui se sont retirés de la coalition les personnalités « larges » les plus connues comme le cinéaste Ken Loach, les organisations musulmanes et même certaines organisations d’extrême gauche comme l’ISG qui a justifié Galloway tout en défendant le caractère électoral et réformiste de RESPECT.

[39Le SWP regrette maintenant que Galloway n’ait pas répondu aux expectatives, n’ait pas agi comme « tribun des opprimés » ou qu’il se trouve parmi les cinq parlementaires britanniques les plus riches (avec un revenu moyen de 300.000 livres sterling par an…). Le dirigeant de l’ISG (le groupe britannique du SU), Alan Thornet, en arrive même à défendre cyniquement Galloway en reprochant au SWP de s’être toujours battu « pour rabaisser le profil socialiste de RESPECT » ou encore que « toutes les publications sortaient au nom de RESPECT, sous son contrôle, sans même faire mention au socialisme ». A. Thornet,. « Socialist Workers Party Respects », International Viewpoint n°393, novembre 2007.

[40La direction du SWP affirme ainsi que “le succès électoral a apporté quelque chose de connu pour les membres du Labour Party qui était complètement nouveau pour la gauche non travailliste : l’opportunisme électoral a commencé à dominer RESPECT. Il y a même eu des cas d’individus qui disaient que, s’ils n’étaient pas renouvelés en tant que candidats de RESPECT, ils se présenteraient avec d’autres partis politiques – et un des conseillers municipaux de la circonscription de Tower Hamlets a justement fait cela en passant au Parti travailliste après avoir été élu ».

[41Le PSTU du Brésil est la principale organisation de la Ligue Internationale des Travailleurs-Quatrième Internationale (LIT-QI) moréniste.

[42L. Trotsky, “Les mouvements ouvriers aux Etats-Unis et en Europe : une comparaison”, mai 1938.

[43R. Rossanda, « De Marx a Marx : clase y partido », in Teoría marxista del partido político n°3, Pasado y Presente, Mexico, 1987, p.14.

[44Pour une vision plus approfondie de cette thématique, voir la série d’articles publiées au cours des mois de mai et juin 2006 dans La Verdad Obrera, « Lenin y la historia del Partido bolchevique ».

[45V.I. Lénine, Le gauchisme ou la maladie infantile du communisme, 1920.

[46L. Trotsky, « Nos différences », juin 1909.

[47L. Trotsky, Le programme de transition, 1938.

[48Un des principaux dirigeants de ce courant, Orlando Chirino a soutenu le vote blanc lors du plébiscite sur la réforme constitutionnelle de décembre 2007. Même si le parti auquel appartenait l’ex PRS (Parti Révolution et Socialisme), aujourd’hui dissous, a soutenu Chávez lors des dernières élections présidentielles, à la différence d’autres courants du PRS, le secteur dirigé par Chirino n’est pas rentré dans le PSUV.



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Claudia Cinatti

Dirigeante du Parti des Travailleurs Socialistes (PTS) d’Argentine, membre du comité de rédaction de la revue Estrategia internacional, écrit également pour les rubriques internationales de La Izquierda Diario et Ideas de Izquierda.

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