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Perspectives

Riposte de l’Iran contre Israël : et maintenant ?

Après avoir lancé plusieurs centaines de drones et de missiles contre Israël en réponse à l’attaque de son consulat, l’Iran juge sa riposte complète. Mais les appels à frapper l’Iran se multiplient au sein de l’opinion publique israélienne, laissant présager d’une contre-offensive aux coordonnées encore troubles et pleine de contradictions.

Enzo Tresso

15 avril

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Riposte de l'Iran contre Israël : et maintenant ?

Inédite, la riposte iranienne à l’attaque de son consulat à Damas demeure calibrée et contrôlée. Lançant plusieurs centaines de missiles et de drones depuis son propre territoire, l’Iran semble s’être assuré que les forces israéliennes aient le temps de les intercepter. Assumant, pour la première fois de son histoire, la pleine responsabilité d’une attaque contre Israël, l’Iran a ainsi tranché son dilemme stratégique : répondre, et avec un degré d’intensité inédit, en évitant de déclencher une guerre totale qui serait dévastatrice pour le pays, voire pour toute la région. Toutefois, en dépit de son caractère mesuré, cette attaque à tout d’un pari dangereux. Si l’Iran fixe la ligne de développement de la situation au Moyen-Orient et participe de la fragilisation les équilibres régionaux, au risque de sacrifier la vie des peuples arabes pour restaurer son influence régionale, le sort du Moyen-Orient dépend désormais de la réponse d’Israël et du gouvernement d’extrême-droite au pouvoir.

Lire aussi : Escalade au Moyen-Orient : Israël et les puissances impérialistes sont les premiers responsables

Tandis que la mission diplomatique iranienne auprès des Nations-Unies a jugé que « l’affaire était conclue », l’état-major iranien a indiqué que la riposte iranienne n’avait pas vocation à aller plus loin : « Nous n’avons aucune intention de poursuivre cette opération, mais si le régime sioniste entreprend une action contre la République islamique d’Iran, notre prochaine opération sera bien plus importante que celle-ci ».

Fidèles à leur opportunisme, les membres du gouvernement israéliens ont multiplié les déclarations belliqueuses et menacent de répondre. Yoav Gallant, ministre de la défense, a ainsi vanté l’efficacité du système de sécurité israélien après avoir déclaré que la « campagne n’est pas encore terminée » et qu’Israël devait se « tenir prêt ». Itamar Bengvir a, dans un tweet lapidaire, également appelé à frapper l’Iran : « Défense impressionnante jusqu’à présent – nous avons maintenant besoin d’une attaque écrasante ». Après une conversation avec le ministre des affaires étrangères allemand, Benny Gantz a mentionné la possibilité de « construire un front unique mondial contre l’Iran et ses proxies ». Toutefois, le caractère combiné de la guerre coloniale israélienne à Gaza et au Moyen-Orient, encastrée dans des contradictions impérialistes plus larges, complique significativement les possibilités d’intervention israéliennes : aucune option ne semble ainsi conduire à la désescalade tandis que les modalités d’une éventuelle riposte demeurent encore floues.

Les gains d’Israël

En dépit des discours bellicistes des dirigeants israéliens, Israël risquerait beaucoup à engager une attaque directe contre l’Iran et perdrait tous les bénéfices immédiats que l’Etat colonial tire des évènements de la nuit de samedi. Netanyahou semble en réalité avoir réussi son pari. Alors que le premier ministre israélien était de plus en plus critiqué par l’état-major démocrate et la diplomatie étatsunienne, l’attaque du consulat iranien lui a permis de ressusciter le « grand ennemi » des Etats-Unis et de redonner du poids à la rhétorique néoconservatrice de « l’axe du mal ». Instrument indocile de l’impérialisme étatsunien, Israël a finalement contraint les Etats-Unis à resserrer les rangs et à mettre de côté leurs critiques. Les forces militaires étatsuniennes projetées ont ainsi, selon Joe Biden, participé à la plupart des opérations d’interception.

En deuxième lieu, l’attaque iranienne permet à Netanyahou de maintenir le pays dans un état de guerre permanent, essoufflant une opinion publique de plus en plus hostile à son égard et revivifiant le sentiment d’unité nationale alors que des manifestations massives agitent le pays depuis une dizaine de jours. Après le fiasco sécuritaire du 7 octobre, l’interception réussie des tirs iraniens lui permet de revendiquer, en outre, une stature de chef de guerre.

Enfin, la réponse iranienne donne à Israël un bénéfice symbolique. De plus en plus isolé sur la scène internationale, le gouvernement israélien peut, à nouveau, se prévaloir d’être victime d’une nouvelle agression et, remobilisant la rhétorique de la « menace existentielle », utiliser la riposte de l’Iran pour approfondir la normalisation des relations diplomatiques entre Israël et les gouvernements des Etats arabes voisins qui ont activement collaboré, comme la Jordanie, aux opérations d’interception ou désapprouvé implicitement l’attaque iranienne, comme l’Egypte ou l’Arabie Saoudite. Comme le souligne, Noura Doukhi, pour l’Orient-le-Jour, « le leadership israélien a arraché des gains significatifs au cours de la séquence, susceptibles d’être mis en péril en cas de large riposte ». Offrant à Netanyahou le bouclier médiatique nécessaire à la poursuite des opérations à Rafah, une riposte massive priverait Israël des gains tactiques accumulés en une seule nuit.

La nouvelle stratégie de riposte de l’Iran complique la vengeance israélienne

Toutefois, les appels à la riposte formulés par certains des membres de la coalition gouvernementale, mais aussi la stratégie appliquée par l’Etat d’Israël depuis le début du génocide à Gaza, laissent penser qu’Israël veut répondre. Mais, les nouvelles coordonnées stratégiques de la riposte iranienne réduisent les possibilités d’action de l’Etat israélien. En assumant lui-même la responsabilité de l’attaque, l’Iran protège ses proxies, qui n’ont joué qu’un rôle mineur dans la riposte, d’une éventuelle vengeance israélienne.

Initiant un changement qualitatif de sa stratégie de riposte, théorisé par le général Mohammed Hossein Baqeri, plus haut gradé de l’armée iranienne, l’Iran veut ainsi imposer à Israël « une nouvelle équation ». Dans un discours télévisé, au lendemain de l’attaque, le général a entériné le passage d’une stratégie de « riposte asymétrique », qui délègue les opérations vengeresses du régime aux proxies de l’Axe de la Résistance, à une logique de confrontation interétatique : « Les forces armées sont entièrement prêtes et interviendront de nouveau si nécessaire. Si le régime sioniste attaque, il fera l’objet d’une contre-attaque depuis l’Iran. Cette nouvelle équation est qu’à partir de maintenant, quand le régime sioniste attaquera nos intérêts, nos propriétés, nos citoyens, la République islamique contre-attaquera immédiatement ». Cette reconfiguration stratégique a également été défendue par le chef des gardiens de la révolution, dans une interview télévisée.

Cette nouvelle stratégie de riposte exonère ainsi les proxies de toute responsabilité directe dans les opérations de la nuit dernière. L’attaque iranienne peut ainsi difficilement servir de prétexte à un approfondissement des opérations israéliennes au sud-Liban. À cet égard, l’état-major de Tsahal a justifié les frappes, conduites au moment de l’attaque, à la frontière libanaise en les présentant comme une réponse aux opérations du Hezbollah menées quelques jours plus tôt. Comme le souligne Kassem Kassir, spécialiste du Hezbollah, « dans le cadre de cette équation, le Hezbollah n’est pas l’argent ou le mandataire de l’Iran ». Un point de vue partagé par Riad Kahwaji, un analyste militaire également consulté par l’Orient-le-jour : « Bien que le cabinet de guerre israélien aspire depuis des mois à élargir le front du Nord (avec le Liban), s’il décide de le faire, ce ne sera pas en riposte aux 300 projectiles lancés par l’Iran ». Comme le souligne Nicholas Blanford, « pour les Iraniens, le show est terminé. Israël serait stupide de prolonger cet épisode en ripostant. S’il décide d’y aller quand même, il ciblera l’Iran plutôt, pour éviter de susciter encore plus le courroux du Hezb [sic] ».

Ce scénario n’est toutefois pas complètement à exclure. Israël pourrait également consommer son retour en grâce sur la scène internationale et capitaliser sur la « menace existentielle » qui pèserait sur lui pour menacer le Liban et porter le conflit frontalier à un nouveau degré d’intensité. Du côté du Hezbollah, le ton est ainsi plus mesuré. Contacté par l’Orient-le-Jour, Mohammad Afif Naboulsi, porte-parole du « parti de dieu », se montre plus prudent : « Tout dépendra si Israël va riposter ou non. L’opération iranienne pourrait s’arrêter à ce stade. Dans ce cas, il n’y aura pas d’escalade majeure au Liban, et les combats transfrontaliers se poursuivront comme avant. Par contre, si Israël riposte, provoquant une chaine de réactions et de contre-réactions, cela voudra dire qu’une escalade dangereuse – qui influera le Liban – est à prévoir ». Alors que les renseignements états-uniens s’inquiètent du plan d’invasion du Liban que Tsahal aurait rédigé et craignent qu’Israël ne l’applique au cours des prochains mois, une attaque vengeresse contre le Liban reste, malgré ses contradictions, une possibilité.

Confronter l’Iran ?

Si les appels à frapper l’Iran se multiplient dans l’opinion publique israélienne, de Benny Gantz à Itamar Ben-Gvir, les alliés impérialistes d’Israël se refusent à soutenir une telle option. Si la frappe contre le consulat iranien visait à contraindre les Etats-Unis à faire bloc derrière Israël, une riposte israélienne directe contre l’Iran susciterait l’hostilité de la diplomatie étatsunienne. Comme le révèle Axios, le président Joe Biden a formellement averti Benjamin Netanyahou, lors d’un entretien téléphonique, que « les Etats-Unis ne participeraient pas à des opérations offensives contre l’Iran et ne les soutiendraient pas ». Dans un communiqué, le président étatsunien a encouragé Israël à se contenter de la défense victorieuse du pays et de ne pas chercher à obtenir de victoires supplémentaires : « J’ai dit au premier ministre Netanyahou qu’Israël avait démontré une remarquable habilité pour se défendre et déjouer une attaque sans précédent, envoyant à ses ennemis un message clair, qu’ils ne peuvent pas effectivement menacer la sécurité d’Israël ».

En l’absence d’un soutien étatsunien, la marge de manœuvre d’une vengeance israélienne sera plus étroite. Toutefois, comme le souligne encore Noura Doukhi, le refus des Etats-Unis de soutenir une campagne contre l’Iran pourrait ne pas avoir d’influence sur les gouvernants israéliens et sur la course fanatique qu’a adoptée Netanyahou, prêt à sacrifier les équilibres régionaux sur l’autel de ses intérêts politiques. Il est probable que la réticence des États-Unis n’élimine que les hypothèses de riposte les plus maximalistes, sans pour autant décourager Israël de frapper l’Iran : « Mais à quel point Whashington pourra-t-il restreindre les actions de son allié israélien, dans le cas où celui-ci fait le pari d’une escalade régionale ? Alors que la triple incursion du 7 octobre et ses suites ont provoqué un traumatisme collectif au sein de la société israélienne, le gouvernement peut difficilement ne pas riposter. Il pourrait ainsi répondre de façon disproportionnée afin de dissuader Téhéran et ses supplétifs régionaux de mener à nouveau ce type d’attaque sur son territoire. Pour l’Etat hébreux, ne pas le faire serait contribuer à l’image de victoire que se donnerait l’Iran. Sans réponse significative de son ennemi, la République islamique peut se targuer d’avoir sauvé la face après la frappe contre son annexe consulaire à Damas. D’autant que, malgré les propos du président américain, il sera difficile pour les Etats-Unis de rester à l’écart en cas de guerre ». Maintenant que les Etats-Unis se sont engagés dans le conflit israélo-iranien, Netanyahou pourrait contraindre l’impérialisme à s’aligner sur les plans, en le mettant devant le fait accompli en cas de riposte.

La réponse d’Israël mettrait également à l’épreuve ses partenaires arabes dans la région. La riposte de l’Iran lui a permis de renforcer son influence sur les Etats arabes voisins, y compris les pays à majorité sunnite. À se montrer trop proches d’Israël, ces gouvernements conciliateurs pourraient s’aliéner les masses populaires arabes profondément mécontentes de leur compromission et choquées par le massacre du peuple de Gaza. Une riposte israélienne pourrait ainsi créer des situations politiques tendues au niveau national, comme en Jordanie, où des milliers de personnes prennent la rue chaque soir devant l’ambassade israélienne à Amman et dénoncent la collaboration du roi avec Israël

La situation demeure donc ouverte et ses futurs développements doivent être observés avec une grande attention. Si l’attaque iranienne réhausse encore le niveau des tensions régionales et donne à la situation une ligne de développement qui fait craindre une conflagration régionale, la réaction israélienne, qui pourrait plonger la région dans la guerre, scellera l’avenir du Moyen-Orient.


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