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Procès factice

Dupond-Moretti devant la CJR : un procès d’exception au service de l’impunité

Le procès d’Eric Dupond-Moretti, accusé d’avoir usé de sa position de ministre pour se venger de litiges personnels avec plusieurs juges, s’ouvre ce lundi. C’est la première fois qu’un ministre de la justice en exercice est jugé devant la Cour de Justice de la République.

Arsène Justo

6 novembre 2023

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Dupond-Moretti devant la CJR : un procès d'exception au service de l'impunité

Crédit photo : capture d’écran BFM TV

Le procès d’Eric Dupond-Moretti s’ouvre aujourd’hui et durera jusqu’au 17 novembre. Le ministre est accusé d’avoir profité de sa position afin d’ordonner des enquêtes administratives contre quatre juges avec lesquels il avait eu des litiges dans deux affaires distinctes en tant qu’avocat. Ces derniers ont été entre temps totalement disculpés par le conseil supérieur de la magistrature.

Quand Dupond-Moretti lance des enquêtes administratives contre ses ennemis

Pour résumer, la première enquête administrative lancée par Dupond-Moretti, et qui se trouve actuellement dans le viseur de la justice, ciblait Patrice Amar, Ulrika Delaunay-Weiss et Eliane Houlette, trois juges qui avaient cherché entre 2014 et 2019 à débusquer la « taupe » qui avait informé Nicolas Sarkozy de l’enquête qui le visait. Dupond-Moretti avait alors fait partie des suspects et avait vu ses relevés téléphoniques épluchés par les magistrats.

Une action inadmissible d’après l’avocat, qui avait accusé ses collègues d’avoir des « méthodes de barbouzes », avant de porter plainte contre eux. Une plainte retirée lors de son accession au poste de ministre de la justice, et aussitôt remplacée par une enquête administrative du ministère à l’encontre des trois juges, en violation totale de l’indépendance « officielle » entre pouvoirs exécutif et judiciaire.

La deuxième affaire, révélée le 15 octobre 2020 par Mediapart, consistait en une autre vengeance du ministre, cette fois-ci contre Edouard Levrault, traité de « cow-boy » quelques mois auparavant par Dupond-Moretti, et désormais ciblé lui aussi par une enquête administrative à l’initiative du ministre. Le magistrat avait osé mettre en examen un des anciens clients du Garde des Sceaux, un policier monégasque accusé d’avoir trempé dans une vaste affaire de corruption autour de l’AS Monaco et de son président Dmitri Rybolovlev.

Le ministre de la justice sur le banc des accusés : bienvenue en macronie

En décembre 2020, l’Ordre des avocats, l’Union syndicale des magistrats, le Syndicat de la Magistrature et l’association anti-corruption ANTICOR portent plainte contre le ministre pour « Prise illégale d’intérêts ». Une enquête est ouverte le 13 janvier 2021 par la CJR, seule institution habilitée à juger un ministre, ce dernier est finalement mis en examen le 16 juillet de la même année. Le ministre tente alors à de nombreuses reprises de suspendre la procédure et d’y faire obstruction, sans succès.

Bien évidemment au courant des accusations, Emmanuel Macron a quand même décidé de reconduire le ministre à son poste après l’élection de 2022 et après le premier remaniement du gouvernement Borne. Ce choix s’explique peut-être dans la confiance que Macron accorde à la CJR pour absoudre son Garde des Sceaux. L’institution est en effet connue pour sa partialité et sa proximité avec le pouvoir, qui lui avait par exemple valu en 2017 le « Prix de la connivence », une récompense satirique décernée annuellement par Anticor.

Et pour cause, créée en 1993, la CJR a remplacé le comparution des membres du gouvernement devant les parlementaires membres de la Haute Cour de Justice. Contrairement à cette dernière, la CJR comprend des magistrats professionnels, soumis à la hiérarchie du ministère de la Justice, comme le montrent les affaires Dupond-Moretti elles-mêmes. Dans sa conception même, la CJR organise l’impunité des membres du gouvernement en instituant une juridiction plus facilement contrôlable par l’exécutif lui-même.

Une impunité organisée qui s’inscrit par ailleurs dans la tradition pour Macron, spécialisés dans le cumul de ministres et de conseillers accusés de corruption, à l’image de son bras droit Alexis Kohler, accusé d’avoir favorisé une multinationale dirigée par sa famille et dans laquelle il a occupé des fonctions de direciton.

Eric Dupond-Moretti semble de son côté vouloir se servir de l’audience comme d’une tribune pour charger à nouveau ses anciens collègues, contre lesquels il semble définitivement avoir une dent. Le ministre a ainsi déclaré au début de la première audience de son procès cette après-midi « M. le président, ce procès est d’abord un procès en illégitimité. Il a commencé 20 minutes après ma nomination puisqu’on m’a déclaré la guerre. J’ai été avocat 36 ans. Certains avocats m’ont reproché de ne plus l’être. Et certains magistrats de l’avoir été ». Pour le ministre, pas de doute : il s’agit d’un procès politique, qui vise sa « légitimité ». Sur les accusations portées à son encontre pas un mot.

Vers une démonstration d’impunité de classe

Le Garde des sceaux risque sur le papier jusqu’à cinq années de prison, mais il n’a pas trop de souci à se faire. En effet le procureur général de la CJR, Rémi Heitz, qui sera chargé de porter l’accusation dans ce procès, est un vieil ami. Ce dernier a été nommé le 1er juillet 2023 au poste de procureur général de la cour de cassation (les deux postes sont jumelés) par… Emmanuel Macron, qui avait bien sûr en tête le procès prochain de son ministre.

Avant ça, Heitz s’était, entre autres polémiques, fait connaître pour avoir perquisitionné les locaux de Mediapart en 2019 sur demande expresse du Premier ministre d’alors, Edouard Philippe. Le procès s’annonce ainsi comme un rappel cru de la justice de classe à l’œuvre dans notre pays.

Un rappel d’autant plus brutal qu’il vise un ministre qui a été ces dernières années le bras armé de la répression judiciaire contre le mouvement social et la jeunesse des quartiers populaires. A l’image de la fameuse « circulaire Dupond-Moretti » demandant « une réponse pénale rapide, ferme et systématique » et ciblant particulièrement les mineurs en juillet dernier lors du soulèvement des quartiers populaires, ou encore de la criminalisation récente du soutien à la Palestine.


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