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Education nationale

Education sexuelle à l’école : le nouveau terrain de jeu de l’extrême-droite

Il y a un mois, le gouvernement publiait un programme pour l’éducation sexuelle de la maternelle au lycée, dont l’extrême-droite s'est emparé pour agiter la menace d'une « idéologie du genre » qui serait en train de « gangréner » l’Education nationale. Mais la réalité est bien loin des fantasmes des réactionnaires.

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Education sexuelle à l'école : le nouveau terrain de jeu de l'extrême-droite

Crédit photo : Ministère de l’éducation nationale

Le 5 mars dernier, le Conseil Supérieur des Programmes (CSP), organe de l’Éducation Nationale, a publié un programme harmonisé d’éducation à la vie affective et sexuelle (EVAS), de la maternelle au lycée. Le nombre d’heures alloué reste celui préconisé depuis 2001, à savoir trois séances de deux heures réparties sur l’année, qui n’ont en réalité jamais été effectives dans la plupart des établissements scolaires.

Le nouveau programme d’EVAS au cœur d’une polémique d’extrême-droite

La principale nouveauté de ce programme réside dans le fait que les séances d’EVAS devront désormais être assurées par des enseignants, là où auparavant elles pouvaient également être assurées par des infirmières scolaires ou par des associations. Une mesure qui tend à limiter l’éducation au genre et à la sexualité à l’école en soumettant sa mise en œuvre au bon vouloir des directions d’établissement, dans un contexte où le manque de moyens décrié par les enseignants empêche déjà de boucler les programmes scolaires.

Mais, sans grande surprise et dans la continuité de la polémique née en Belgique autour de la loi EVRAS , l’extrême-droite s’est empressée de sauter sur l’occasion pour avancer son agenda réactionnaire. À grand renfort de fake-news diffusées sur les réseaux sociaux et plateaux télé, elle explique que ce nouveau programme aurait pour objectif d’imposer une idéologie et des pratiques sexuelles aux enfants, conformément à la volonté des prétendus militants « wokes » qui feraient la loi dans les écoles. Une théorie dont SOS Éducation et Parents Vigilants, associations liées à l’extrême-droite d’Éric Zemmour, ont fait leur cheval de bataille.

Sur l’une de ses affiches de SOS Éducation, on ne trouve rien de moins que le slogan « Enseignez-moi les divisions, pas l’éjaculation », flanqué sur le visage d’une petite fille. Sur les plateaux télé, des représentants de ces associations sont invités pour dénoncer cette nouvelle mesure du gouvernement qui inciterait les élèves à « changer de sexe », à leur « expliquer comment faire un annulingus », ou encore à apprendre « à un enfant de 8 ans, en primaire, ce qu’est la sodomie ».

En réalité, un rapide coup d’œil au contenu du programme EVAS suffit à contredire de telles fantaisies de l’extrême-droite. On y trouve en réalité des préconisations pour organiser à l’école des ateliers sur l’égalité filles-garçons, sur la notion d’intimité et de consentement à des gestes non-sexuels, sur l’identification de « secrets » qui mettent l’enfant mal à l’aise, et sur les adultes de confiance à qui s’adresser pour les partager. Il s’agit, en premier lieu de donner des clés aux élèves victimes de violences sexuelles intra-familiales, de harcèlement scolaire ou d’autres situations violentes pour en parler avec le personnel des établissements scolaires.

La sexualité en tant que telle n’est abordée qu’à partir du collège, à l’âge où elle apparaît généralement dans la vie des adolescents, dans l’objectif de les sensibiliser aux différentes réalités auxquelles ils peuvent être confrontés et de prévenir les risques sur le terrain de la santé, principalement via des explications sur la contraception. En ce qui concerne l’éducation des enfants à la réalité - évidemment insupportable pour l’extrême-droite - de l’existence des personnes transgenres, le programme se contente d’évoquer parmi les objectifs pour les classes de 4ème d’ « envisager la sexualité comme un cheminement personnel singulier et comprendre sa diversité d’expression » et d’évoquer plus précisément les discriminations et les violences auxquelles font face les personnes LGBT en 3ème et en classe de terminale. On est donc bien loin du « lobby LGBT » fantasmé par les réactionnaires. Mais quel est l’intérêt de ces associations à porter ces discours alarmistes et en grande partie mensongers à propos de l’éducation sexuelle à l’école ?

Une campagne réactionnaire guidée par des intérêts politiques et financiers

SOS Éducation, fondée en 2001, est une organisation ouvertement réactionnaire, dont Libération affirme dès 2003 qu’elle « dissimule ses liens avec les officines ultralibérales ». Elle est en particulier financée par la Fondation pour l’École, un groupe fondé par des personnalités d’extrême-droite pour promouvoir l’enseignement privé hors contrat, présenté comme un espace qui serait libéré de l’influence idéologique de l’État.

SOS Éducation s’est déjà illustrée sur les questions de genre en menant une campagne contre l’exposition autour du Guide du zizi sexuel à la Cité des sciences en 2007, puis en militant contre la circulaire Blanquer encadrant l’inclusion des élèves trans dans les établissements scolaires et, plus récemment, pour avoir diffusé des tracts alarmistes concernant « l’idéologie transgenre » à l’école dans des boîtes aux lettres de Villeneuve D’Ascq. Enfin, l’association est dénoncée pour ses montages financiers, ayant même été épinglée par un rapport de la Cour des Comptes en raison de l’opacité de la gestion de ses fonds après avoir participé au financement de la campagne de François Fillon en 2017.

L’association Parents Vigilants est quant à elle directement liée au parti Reconquête d’Éric Zemmour, qui l’a créée en 2022 pour lutter contre les dérives supposées du « wokisme » à l’école, comme le rapporte Mediapart. Sa porte-parole, Agnès Marion, est elle même militante du parti d’extrême-droite. L’association s’est faite connaître pour ses pratiques alarmistes et calomnieuses, visant à dénoncer le contenu des enseignements de l’école publique en s’attaquant aux enseignants. Dans une lettre au gouvernement en novembre 2023, les organisations syndicales ont dénoncé le mode opératoire de l’association : « Une personnalité d’extrême droite dénonce sur les réseaux sociaux tel cours ou telle activité, s’ensuit une campagne de harcèlement en ligne, allant parfois jusqu’à la publication du nom et de l’adresse d’enseignant·es visé·es, et parfois d’un rassemblement devant l’école ou l’établissement. Face à la gravité des menaces, certains de nos collègues ont même dû bénéficier d’une protection policière ».

Il s’agit pour Reconquête de construire son influence sur le terrain de l’école, notamment via les élections des parents d’élèves. Un moyen de conquérir un électorat parmi des couches de travailleurs et de secteurs populaires qui échappent jusqu’ici à la base d’influence dont le parti de Zemmour a besoin pour se consolider. En effet, alors que le gouvernement a choisi de faire de l’école un axe central de sa politique, il s’agit d’un terrain privilégié par l’extrême-droite pour l’interpeller sur sa « faillite » au vu de la crise profonde qui traverse l’éducation nationale. Mais pas question ici de s’unir aux profs et aux élèves qui se mobilisent pour obtenir des moyens : pour l’extrême-droite, il s’agit au contraire de monter la population contre les travailleurs de l’éducation en dénonçant le contenu de l’enseignement public, faisant par ce biais la promotion de l’enseignement privé religieux au service des intérêts du marché et de la diffusion des idées réactionnaires dans la société.

La nécessité d’une éducation à la vie affective et sexuelle dès le plus jeune âge

Si la droite et l’extrême-droite ont fait des polémiques contre l’EVAS l’un de leurs thèmes de prédilection, c’est qu’elles cherchent à surfer sur le sentiment d’inquiétude des parents qui se développe sur la base de la dégradation des conditions de scolarité, en se combinant à une confusion généralisée sur les question de genre et de sexualité et à l’influence des théories du complot, alors que 60% des parents ignorent que les séances d’EVAS sont obligatoires en France depuis 2001. Et pour cause : la loi Aubry sur l’éducation sexuelle n’a jamais été effective dans la plupart des établissements scolaires. Des associations ont même attaqué l’État en justice l’an dernier pour qu’il se conforme à ses propres lois.

Pourtant, l’EVAS est une question de santé publique, qui peut avoir une importance vitale pour les enfants et plus largement, pour l’ensemble de la société. On estime par exemple que 10% des enfants sont victimes de violences sexuelles dans le cadre familial, ce qui correspond à trois élèves sur une classe de 30 : une réalité qui doit être prise en charge par l’école, alors que les travailleurs de l’éducation sont des adultes extérieurs à la famille auxquels les élèves devraient pouvoir se confier pour trouver de l’aide. Concernant plus largement les questions de genre et de sexualité, le tabou maintenu par les institutions patriarcales qui encadrent notre société fait que le dialogue est loin d’être évident au sein de la famille. Lorsqu’il n’est pas inexistant voire directement réactionnaire, il est souvent laborieux et ne permet pas de couvrir l’ensemble des thèmes relatifs à la sexualité sans jugement, ce que les jeunes compensent tant bien que mal par des discussions avec leurs amis, par leurs propres recherches et/ou expérimentations. De ce point de vue, des travailleurs de l’éducation formés en matière d’éducation à la vie affective et sexuelle pourraient jouer un rôle d’information extérieure à la sphère familiale et fournir un espace de discussion autour de thèmes parfois difficiles à aborder.

Une éducation à la vie affective et sexuelle dès le plus jeune âge, échelonnée selon les questionnements rencontrés au gré de la vie des enfants et des adolescents, permettrait ainsi d’appuyer l’auto-détermination des jeunes générations au moment où elles entrent dans une vie affective et sexuelle active, en identifiant au mieux les situations à risque et les moyens de les appréhender. Contrairement à ce qu’avance la propagande alarmiste, aussi limités soient-ils, les cours d’éducation sexuelle tendent plutôt à retarder l’entrée dans la vie sexuelle des jeunes et à la réaliser dans de meilleures conditions : les élèves qui ont été sensibilisés ont notamment davantage tendance à se protéger contre les IST et les grossesses non désirées. La sensibilisation des jeunes aux questions de genre, à la lutte contre l’homophobie et la transphobie réduit aussi très fortement les occurrences de harcèlement scolaire et de problèmes de santé mentale. Une tendance observée en particulier chez les élèves LGBT, mais plus largement chez tous les élèves, car l’homophobie, le sexisme et la transphobie participent d’un climat agressif qui est en dernière analyse nocif pour tous au sein des écoles.

Un combat à mener par la base depuis les écoles

De ce point de vue, si le programme de l’extrême-droite pour l’éducation représente un danger pour la santé de la jeunesse et pour la société en général, le nouveau programme d’EVAS publié par le gouvernement ne garantit même pas le minimum de ce qui devrait être fait en matière de santé publique. En effet, au-delà des éléments partiels mais progressistes qu’il feint d’aborder, sa mise en œuvre sera dans les faits extrêmement limitée voire rendue quasi-impossible par la mesure qui consiste à le faire reposer uniquement sur les enseignants, n’ayant à l’heure actuelle ni les moyens ni la formation pour assurer un tel programme en plus du grand nombre de tâches dont ils ont déjà la charge.

On peut aussi se demander dans quel climat de confiance la discussion peut s’engager entre élèves et enseignants dans une école toujours plus répressive, dans laquelle les profs sont contraints de gérer tant bien que mal des classes surchargées, d’organiser la sélection des élèves, et de faire la chasse aux voiles, aux couvre-chefs, aux « abayas » et autres « tenues non républicaines ». Alors qu’en Seine-Saint-Denis les élèves perdent déjà l’équivalent d’un an de scolarité en absences de profs non remplacées, le gouvernement compte-t-il sur les enseignants qui ont accepté le pacte enseignant pour assurer la mise en œuvre périlleuse de ce programme d’EVAS ?

Alors que l’extrême-droite tente de faire son chemin parmi les parents d’élèves à grand renfort de polémiques sur les questions de genre et de laïcité à l’école, empruntant la brèche ouverte par les mesures réactionnaires du gouvernement, il est urgent de nous organiser en conséquence. À l’heure où le personnel enseignant se mobilise contre la réforme du choc des savoirs, pour des moyens et des augmentations de salaires, la défense d’une éducation à la vie affective et sexuelle complète dès le plus jeune âge doit compter parmi les revendications à discuter dans les écoles.

Pour l’obtenir, il n’y a aucune confiance à avoir dans un gouvernement qui cherche à achever la casse l’école publique et à mettre au pas la jeunesse : au même titre que les autres demandes qui s’expriment aujourd’hui dans l’éducation nationale, il faudra l’imposer par la grève en nous organisant par la base dans nos écoles, en cherchant à développer les liens entre le personnel, les élèves et leurs parents qui ont, eux aussi, tout à gagner dans ce combat.

Face au gouvernement et aux réactionnaires, il faut opposer une toute autre vision de l’école, inscrite dans une lutte de l’ensemble du monde du travail et des classes populaires et visant à la construction d’une société débarrassée de l’exploitation et des oppressions, dans laquelle l’éducation sera orientée par les enseignants eux-mêmes, non plus selon les besoins de la classe dominante mais selon ceux de la majorité de la population. C’est dans cette perspective que les travailleurs doivent lutter dès maintenant, pour des moyens mais également pour un collège et un lycée unique, contre les lois racistes, afin de faire reculer les traits les plus réactionnaires de l’éducation nationale et s’approcher de ce que serait un système éducatif émancipateur pour tous les jeunes.


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